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Biographie de Saint François de Sales

    Évêque d’un diocèse savoyard, la sainteté de François de Sales fit de lui un modèle de l’épiscopat, et la vénération générale l’entoura. Les nécessités de l’apostolat et de la direction le déterminèrent non seulement à fonder l’ordre de la Visitation, mais surtout à devenir l’un des premiers grands auteurs spirituels de langue française. De plus, il manifeste des dons littéraires remarquables. À tous ces titres, Saint François de Sales demeure l’une des hautes figures du catholicisme européen de la période moderne.

    Né de François de Boisy et de Françoise de Sionnaz, François reçut à sa naissance le nom de Sales, du lieu de sa naissance, le château de Sales près de Thorens: il appartenait à la bonne noblesse savoyarde. L’aîné de neuf frères et sœurs, il eut comme premier précepteur le chapelain du château, Jean Déage, qu’il garda auprès de lui jusqu’à la mort de celui-ci en 1610. Élève au collège de La Roche en 1574, puis à celui d’Annecy en 1576, il vint en 1582 terminer ses études à Paris, chez les jésuites du Collège de Clermont. C’est là qu’à la fin de 1586 il traversa une terrible tentation de désespoir, due à l’incertitude au sujet de sa prédestination; il en sortit par un acte de total abandon à Dieu qu’il fit devant Notre Dame de Bonne Délivrance à Paris.

    Après qu’il eut achevé sa philosophie, son père l’envoya, durant l’été 1588, à Padoue où il étudia le droit et commença en outre, par goût personnel, des études de théologie. Il était dès lors attiré par le sacerdoce et, à son retour en Savoie, au printemps 1592, il obtint de son père l’autorisation d’entrer dans les ordres. Nommé prévôt de l’église Saint-Pierre de Genève, prébende qui fait de lui le deuxième personnage du diocèse, il reçoit la prêtrise le 18 décembre 1593. L’évêque de Genève résidant à Annecy, Claude de Granier, l’entoure d’amitié et d’estime, et lui confie d’abord une difficile mission de conversion des protestants dans la région de Chablais. Pendant quatre ans, François s’adonne à la controverse, et même rencontre trois fois à Genève le fameux Théodore de Bèze. Il obtient quelques succès, mais comprend progressivement combien il importe de placer le combat sur un terrain plus intérieur, et il commence à se vouer avec passion à la direction de quelques âmes choisies. En octobre 1597, il devient le coadjuteur de son évêque. Celui-ci lui confie diverses missions délicates, d’abord à Rome, où Clément VIII le nomme coadjuteur de Genève (mars 1599), puis en janvier 1602, à Paris, auprès d’Henri IV. Il y fréquente le milieu dévot groupé autour de Mme Acarie et de Bérulle, et déjà il jouit d’un grand crédit. Au cours de son voyage de retour, en septembre 1602, il apprend la mort de Claude de Granier et il est sacré à son tour évêque de Genève, le 8 décembre, dans l’église où il avait été baptisé, à Thorens.

    Il s’absorbe dès lors tout entier dans sa charge pastorale, parcourant inlassablement son vaste diocèse, visitant les paroisses, donnant la confirmation, prêchant et confessant, se préoccupant de la réforme des maisons religieuses. Son zèle et son dévouement font l’admiration de toute la France où on le considère bientôt comme le modèle de la sainteté épiscopale. La direction des âmes demeure au premier plan de ses activités et l’oblige à tenir une abondante correspondance spirituelle. En outre, il accepte volontiers de donner des prédications en d’autres diocèses. Au cours d’un carême prêché à Dijon en 1604, il fait la connaissance d’une jeune veuve, sœur de l’évêque du lieu, Jeanne de Chantal. Il ne tarde pas à reconnaître en elle une âme exceptionnelle, et elle devient sa fille spirituelle d’élection, liée à lui par une affection intime et profonde. C’est grâce à Mme de Chantal qu’il peut réaliser, en juin 1610, l’un de ses vœux les plus ardents en fondant, à Annecy, la Visitation dont elle est la première supérieure: cet ordre féminin contemplatif est conçu pour accueillir même les personnes âgées ou de santé fragile auxquelles les autres ordres sont interdits. Par la suite, le gouvernement et la direction des visitandines deviennent l’une de ses charges les plus chères. La réputation de François de Sales, en lui attirant la confiance de Charles-Emmanuel, duc de Savoie, l’obligea à assumer diverses missions diplomatiques. L’une d’elles lui procura, en 1618, l’occasion d’un troisième séjour à Paris, au cours duquel il se lia avec Richelieu et Vincent de Paul et devint le directeur de la mère Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal. Sentant sa santé décliner, il prit, en 1620, comme coadjuteur, son frère Jean-François qu’il forma pour être son successeur. Au retour d’un voyage à Avignon avec le duc de Savoie, il mourut à la Visitation de Lyon, le 28 décembre 1622. Béatifié en 1662 et canonisé en 1665, Saint François de Sales fut déclaré docteur de l’Église en 1877.

Spiritualité

    Saint François de Sales n’a jamais cherché à faire une carrière d’écrivain. Écrits dans les rares instants de loisir que lui laissait une existence surchargée d’occupations, ses ouvrages ont un caractère occasionnel. Il n’en a pas moins produit une œuvre relativement considérable. Ses premiers livres sont consacrés à la controverse avec les protestants. Dès le temps des missions du Chablais, il avait fait imprimer des tracts destinés à être distribués aux protestants, mais c’est longtemps après sa mort qu’ils furent réunis en un volume intitulé Controverses  (1672); en revanche, pour défendre contre les pasteurs calvinistes le culte de la Croix, il avait publié lui-même la Défense de l’étendard de la sainte Croix  (Lyon, 1600). En mars 1608, le Père Jean Fourier, jésuite de Chambéry, ayant eu connaissance des lettres écrites par Saint François à sa cousine Mme de Charmoisy, le pressa d’en tirer un traité spirituel. L’évêque y consentit et en fit l’Introduction à la vie dévote  , qui parut à Lyon en décembre 1608, et dont il donna la version définitive en 1619. À cette date, d’innombrables éditions et traductions avaient attesté l’extraordinaire succès de l’ouvrage. Les expériences mystiques de Mme de Chantal, et aussi les siennes, l’avaient amené, dès 1607, à songer à écrire un Traité de l’amour de Dieu, mais il ne put y travailler que très lentement et reprit plusieurs fois sa rédaction, si bien que l’œuvre parut seulement en juillet 1616, à Lyon. D’autres ouvrages furent publiés à titre posthume, dont spécialement les Épîtres  (1626) et les Entretiens (1629). Dès 1637, Jeanne de Chantal fit donner une édition des Œuvres complètes  reprise et augmentée en 1641. Une excellente édition critique a été faite de 1892 à 1964 par les visitandines d’Annecy. On y trouve en particulier tout ce qui reste de l’abondante correspondance du saint, soit 2100 lettres ou fragments.

La dévotion dans la vie quotidienne

    Les préoccupations de Saint François de Sales sont au départ surtout pratiques et ascétiques et elles visent l’ensemble des chrétiens. Il cherche à conduire le fidèle à un engagement total de sa personne dans la vie religieuse qui constitue à ses yeux la "dévotion". Cet engagement s’impose à tous comme une exigence générale, quelle que soit la situation où l’on se trouve placé; mais, en même temps, il ouvre à chacun la voie de la sainteté qui n’est plus désormais l’apanage de ceux qui se sont retirés du monde: de cette manière. Pour y parvenir, il propose à ses lecteurs, dans l’Introduction  , un certain nombre d’attitudes concrètes, extérieures et intérieures, qui rendent la perfection à la fois accessible et compatible avec les exigences de la vie ordinaire. Il le fait avec une souplesse, une pénétration et un sens de l’humain dont ses contemporains ont été tellement frappés qu’ils lui ont reproché parfois de sacrifier l’austérité du christianisme; reproche injuste, car, dans les faits, le saint se montrait souvent très sévère, comme en ont témoigné tous ses dirigés. Mais il est sans cesse préoccupé de s’en tenir aux limites des possibilités de l’être humain, d’où la grande importance, dans ses œuvres comme dans sa correspondance, accordée à l’analyse intérieure réelle et concrète: à ce titre, il a fortement contribué à accréditer le psychologisme dans les cadres de la spiritualité chrétienne, et à inaugurer un type de direction qui met au premier plan l’adaptation au cas individuel. Servi par des qualités littéraires peu communes, il a, dans l’Introduction, donné à la littérature spirituelle d’inoubliables pages, par exemple sur la prière, les obligations familiales, la vie conjugale, où la solidité du fond se joint à la beauté et à la poésie de la forme, créant ainsi une spiritualité de la vie quotidienne et du devoir d’état qui est demeurée une constante de la pensée chrétienne.

Écrite pour un très vaste public, l’Introduction  s’en tient aux formes habituelles de la vie intérieure et aux problèmes immédiatement pratiques. Pourtant, dès cette date, à travers les expériences mystiques de Mme de Chantal, et aussi à cause de sa propre évolution spirituelle, le saint découvrait des horizons plus vastes, et cet enrichissement se manifeste dans le Traité de l’amour de Dieu. Avec beaucoup de ses contemporains, Saint François de Sales considère la volonté comme la faculté essentielle de l’esprit humain, celle dans laquelle, pour ainsi dire, l’homme se résume. Tout le problème est donc, selon lui, de parvenir à la parfaite conformité de la volonté humaine à la volonté divine. D’autre part, sa formation humaniste se retrouve dans la vision délibérément optimiste qu’il veut garder de la nature humaine, que la chute n’a point entièrement viciée et pervertie. Même déchue, la créature garde encore une orientation spirituelle qui fait de Dieu le terme même de sa faculté de connaître et d’aimer, de telle sorte que Dieu est d’abord Dieu du cœur humain, que les affections se tournent spontanément vers lui, et que, malgré la faute originelle, l’homme a gardé la sainte inclination de l’aimer par-dessus toutes choses. Cependant, Saint François évite le reproche de pélagianisme en insistant sur le fait que le péché interdit désormais tout exercice naturel de cette inclination et qu’il faut nécessairement que la grâce intervienne. On doit reconnaître que, sur ce point, il se sépare du pessimisme augustinien, alors que par ailleurs sa pensée doit beaucoup à l’évêque d’Hippone.

Les voies de la contemplation

    Fidèle au schéma volontariste commun à son époque, Saint François de Sales identifie amour et volonté. En situant la perfection de la vie spirituelle dans le plein développement de la charité, il est conduit à conclure que l’âme aime Dieu parfaitement lorsqu’elle a renoncé à toute volonté propre et qu’elle ne veut rien d’autre que ce que Dieu veut, et c’est là ce qu’elle doit atteindre. D’autre part, Dieu intervient pour la purifier passivement par les épreuves et les sécheresses. Ainsi, l’âme est conduite à un état que François désigne par le terme de "sainte indifférence", et qui correspond à la renonciation à tout désir. Cette "indifférence" doit s’étendre non seulement aux circonstances de la vie extérieure, mais aussi au développement de la vie intérieure, voire au salut qui ne doit pas être désiré pour lui-même.

    À ce stade, ses vues sur la prière s’intériorisent. Dans l’Introduction, il s’en tenait à la prière vocale et à la méditation discursive. Dans le Traité, il ouvre à son disciple les voies de la contemplation, d’une contemplation éminemment affective, tout imprégnée de charité, et qui transcende le niveau notionnel et discursif. Sur ce point, le saint a été certainement influencé par les mystiques rhéno-flamands auxquels, tout en déplorant leur obscurité, il a emprunté quelques idées. Comme eux, il pense que la structure de l’âme est organisée autour d’un point central qu’il nomme "suprême pointe", lequel est le lieu de résidence des vertus théologales et le domaine privilégié de l’action divine. La "suprême pointe", qui se situe bien au-dessus de l’intelligence, a donc son exercice dans une contemplation amoureuse qui transcende toute conceptualisation, et qui, en même temps, amène l’âme au repos en Dieu et au parfait abandon.

    La synthèse salésienne n’en a pas moins eu une influence décisive et permanente sur la spiritualité chrétienne. N’ayant pas fondé de congrégation masculine qui eût continué le développement de sa pensée, on ne saurait dire que François de Sales soit à l’origine d’un courant particulier; il n’existe pas, à proprement parler, d’école salésienne de spiritualité, comparable, par exemple, aux écoles bérullienne ou ignacienne. Mais, en fait, tous les auteurs religieux postérieurs ont subi, et en général profondément, son action, et tous ont été unanimes à le recommander comme un maître: à ce titre, il a réellement modelé la piété catholique à partir du premier tiers du XVIIe siècle.