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Marie, Consolatrice des affligés

Ce que l’éclipse est au soleil, dit le P. Poiré (11ème étoile, chap. 11), la tempête à la mer, le tremblement à la terre, la maladie au corps, la gelée aux plantes, le ver aux fruits, la rouille au fer, la teigne aux draps, la tristesse, la désolation l’est à l’esprit. C’est la paralysie de l’âme, qu’elle tient comme percluse et presque sans usage de ses facultés raisonnables. C’est la nuit obscure de l’entendement, qui, pendant qu’elle dure, ne sait ni ce qu’il fait, ni où il met le pied, mais s’inquiète et s’alarme de tout. C’est la lassitude de la volonté ; elle l’abat, en sorte qu’elle demeure sans mouvement et sans affection quelconque envers le bien. C’est la phtisie du cœur, qu’elle conduit jusqu’aux abois et rend languissant comme une lampe qui s’éteint. C’est la fièvre chaude de l’imagination, qui représente mille fantaisies et mille formes grotesques en l’air, et qui veut faire passer pour vérité infaillible ce qui jamais ne fut et ne sera jamais. C’est la débauche de l’appétit sensitif, lequel, sentant la raison interdite, se jette au travers des champs comme un cheval échappé, et donne carrière à toutes ses inclinations déréglées. C’est le domaine des passions, qui, comme des vents impétueux, se soulèvent et tiennent la pauvre âme comme un vais seau agité à la merci de la tourmente des flots. C’est la saison des tentations, qui attaquent et bouleversent le cœur, tandis qu’il est sans force et sans courage, qu’il n’a presque point de sentiment de Dieu, ni des choses spirituelles, et qu’au contraire l’affection des choses basses et terrestres se réveille et prend force en lui. C’est un mal qui, par un dégoût général de toutes choses bonnes, rend sensibles tous les autres maux, et qui fait qu’on juge souvent insupportable ce qui n’est rien. C’est un temps de réjouissances pour nos ennemis invisibles, qui, comme des esprits de ténèbres, ne font jamais de meilleurs coups qu’à la faveur de cette nuit.

C’est l’état du saint homme Job (Jb III) quand il veut effacer du nombre des jours celui de sa naissance, et faire qu'on ne parle point autrement de la nuit de sa conception que comme d’un temps de malheur. C’est l’état du pauvre Moïse (Ex III), quand, pressé des paroles séditieuses du peuple, il dit à Dieu que sa vie ne tient plus qu’à un fil ; du malheureux Samson (Jg XVI), quand, par les poursuites importunes de Dalila qui ne lui donne point de repos, il se trouve à deux doigts de la mort ; du bon vieillard Tobie, quand il demande à Dieu de recevoir en paix son esprit accablé de maux et d’ennuis ; de l’affligé Jonas, quand il se lamente et qu’il appelle la mort ; du courageux Elie, quand il se jette comme à l’abandon sous le genièvre, priant Dieu avec instances de le retirer de ce monde ; du dévot Ezéchias, quand il s’afflige de la triste nouvelle que le prophète lui a annoncée (4 R XX) ; de l’invincible saint Paul, quand il dit (1 Co I) qu’il est comme écrasé et que l’affliction qu’il souffre va jusqu’au-delà de ses forces. C’est l’état auquel le Sage (Ec I) veut que nous nous apprêtions quand nous sommes contents, afin d’en faire notre profit. C’est l’état où nous avons besoin de tout ce qui nous veut du bien dans le ciel, et où le secours qu’on nous donne nous vient très à propos.

Aussi est-ce l’état où la Mère de bonté, la tendre Vierge nous fait connaître qu’elle est véritablement Mère, et où elle nous fait ressentir les doux et favorables effets de sa miséricorde.

Je ne veux d’autre preuve de cette vérité que la voix authentique de la sainte Église, qui la nomme si hautement la Consolatrice des affligés, Consolatrix afflictorum (Litan.). Tous les saints Pères lui rendent le même témoignage.

Ô notre Consolatrice, lui dit saint Ephrem (Serm. de Laud. Virginis), qui apaisez nos regrets, charmez nos ennemis et allégez nos charges !

Ô très chaste, très bonne et très-miséricordieuse Souveraine, dit saint Germain de Constantinople (In Adorat. zonæ Deiparæ), l’unique soulagement des chrétiens, la joie des affligés, le refuge des pécheurs, de grâce, ne nous laissez pas orphelins et destitués de votre secours. Car à qui irons-nous et à qui aurons-nous recours, si vous nous délaissez ? Que sera-ce de nous, ô la vie et le moteur des âmes fidèles ? Comme la respiration nous fait connaître que l’âme bat encore dans nos corps, de même, tant que votre très saint nom sera sur nos lèvres, nous aurons toujours et le signe certain et la ferme croyance que nous serons assistés et réjouis de vous en tout temps, en tout lieu et en toute manière.

Le dévot Idiota (Contemplat. de B. Virg., cap. 3) confesse qu’entre tous les noms des saints, il n’en est point qui réjouisse les affligés et qui donne courage à ceux qui sont las et abattus, comme celui de Marie. Marie est le phare qui parait soudainement aux yeux du matelot triste et inquiet qui ne sait plus quelle route tenir. Si, pendant qu’elle était sur la terre, sa vue seule rendait la joie et la sérénité aux âmes languissantes ; si, sur cette terre de larmes, l’éclat de sa face angélique avait déjà le pouvoir de dissiper les brouillards et les nuées de tristesse, que sera-ce maintenant qu’elle est plus rayonnante que mille soleils et qu’elle est comme transformée au soleil de la lumière éternelle, qui est le principe de toute joie?

Afin de concevoir encore mieux le soin maternel qu’elle prend de consoler les affligés, figurez-vous une mère qui a un fils unique très malade ; vous la verrez debout nuit et jour, elle ne prend point de repos, elle ne saurait souffrir qu’il soit servi par d’autres mains que par les siennes. Il faut qu’elle apprête tout ce qu’il prend, qu’elle-même le lui présente, qu’elle veille auprès de lui, le lève et le couche sans qu’il lui soit possible de l’abandonner tant soit peu. Elle-même répond à la porte, de peur qu’il ne soit importuné ; elle empêche le bruit qui pourrait troubler son repos ; elle donne ordre à tout et ne trouve rien de difficile.

Ôtez l’empressement et l’ennui dont la Mère de Dieu est exempte, voilà une faible image de sa tendresse maternelle envers les âmes affligées. C’est merveille avec quel soin elle ferme les avenues à nos ennemis invisibles. C’est merveille avec quelle puissance elle arrête leur furie contre nous. C’est merveille avec quelle affection elle procure aux affligés toute sorte de rafraîchissements. Elle réveille la mémoire assoupie ; elle jette dans l’entendement des rayons de lumière ; elle dresse la volonté à reprendre son ancienne vigueur ; elle tient en bride l’imagination pour qu’elle ne s’égare pas ; elle retient les mouvements insolents des passions et les assujettit à la raison ; elle détourne les objets des tentations, qui pourraient faire brèche à l’âme ; elle rend peu à peu le goût et l’appétit des choses spirituelles et divines, elle modère l’inclination aux sensuelles et basses ; elle guérit insensiblement l’ennui et la pesanteur de l’esprit ; elle soulève l’âme avec certains ébranlements de joie, et surtout elle maintient en elle une secrète confiance qui l’assure qu’elle ne l’abandonnera jamais, et que, si grand que puisse être l’orage, elle n’en sera point abattue : confiance qui la porte à tout recevoir de la main de Dieu et de la part de sa bonne Mère, qui la fait acquiescer à toutes les ordonnances du ciel, qui la met en un état de fermeté et la tient ainsi qu’un rocher au milieu des vagues et des flots. Oh ! Si ceux qui ont l’expérience de cet heureux état et de l’assistance de la Reine de bonté nous pouvaient dire ce qu’ils en ressentent ! Oh ! Si nous avions les yeux assez perçants pour découvrir ce qui se passe dans les belles âmes à cet égard, que de merveilles nous verrions sortir de sa très obligeante main ! Oh ! Si nous avions connaissance de tous ceux qu’elle a soulagés dans leurs afflictions et des admirables moyens qu’elle a pris pour cela, que nous y trouverions de nouveaux motifs de l’honorer et de l’aimer !