Sermon prononcé par notre Prieur Général, Mgr Gilles Wach, en la fête de Immaculée Conception 2003
Bien chers amis,
Le mystère de l'Immaculée Conception de Marie exerce sur les âmes pieuses un charme que je dirais irrésistible.
Voyez le magnifique spectacle que donnent chaque année, à l'époque des pèlerinages, ces foules innombrables qui s'en vont vers la Grotte bénie de Lourdes vénérer celle qui a dit à la petite Bernadette : « Je suis l'Immaculée Conception ».
Rappelez-vous combien ont été tout de suite populaires à Paris et dans le monde la chapelle des Sœurs de St Vincent de Paul et la Médaille miraculeuse montrée à Catherine Labouré, et qui porte l'inscription : « O Marie, conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous. »
Songez que les villes de Rome et de Lyon illuminent encore chaque année le 8 décembre, par une sorte de continuation des fêtes véritablement populaires qui accueillirent, il y a bientôt cent cinquante ans, la proclamation officielle, la définition du dogme de l'Immaculée Conception.
Et avant ce dernier événement, avant ces fêtes de Rome, avant ces révélations de Paris et de Lourdes, quel zèle, quelle ardeur, quel enthousiasme déploient à l'envi les docteurs et les saints, les pasteurs et les fidèles, les grands et les petits pour obtenir que cette croyance soit proclamée dogme de foi par le pape infaillible !
C’est que l'âme humaine, purifiée par le baptême, sanctifiée par la grâce des sacrements, élevée au dessus d'elle-même par la doctrine si sainte de la religion de Notre Seigneur Jésus Christ, a pris, si je puis ainsi m'exprimer, les mœurs des anges.
Et malgré la chair et ses convoitises, elle se sent attirée par cette apparition de pureté et de lumière qu'est l'Immaculée Conception.
Voyons quelque peu ce matin la nature du privilège de l’Immaculée Conception.
Tous les autres descendants d'Adam reçoivent la nature humaine, non pas telle qu'elle sortit des mains de Dieu, au jour de la création, parée de la grâce qui divinise, mais telle que nos premiers parents l'ont faite, ou, pour parler plus exactement, défaite par leur péché de désobéissance et d'orgueil : c'est-à-dire privée de cette grâce qui en faisait un être de lumière.
Cette privation est une ombre, une tache qui en éteint la splendeur, comme l'ombre fait tache sur la lumière du soleil. Nous sommes conçus avec une souillure, la souillure du péché originel. Plus tard seulement, la vertu purificatrice du sang de Jésus, qui coule dans l'eau du baptême, lave cette nature souillée et lui rend sa splendeur.
Fille d’Adam et notre sœur, Marie appartenait à notre lignée. Elle tombait sous le coup de l'anathème. Elle avait besoin comme nous d'une rédemption.
Mais par un privilège unique, cette rédemption s'opèrera pour elle de façon suréminente : ce ne sera pas une réparation, mais une préservation ; au lieu d'effacer une tache, elle empêchera qu'elle ne tombe sur elle et la dépare ; la grâce ne lui sera pas rendue, elle lui sera donnée dès le tout premier instant de sa conception.
Dès le tout premier instant de sa conception, Marie est sans tache, Marie est toute pure, Marie est toute belle de la beauté divine, et elle jouit d'une pleine connaissance et d'une entière liberté, comme les anges et Adam au jour de leur création, afin de correspondre personnellement et consciemment à la grâce de sa première sanctification.
Voilà ce qu'elle a voulu nous dire, dans un décor bien fait pour encadrer cette révélation, quand, dans la blancheur des neiges pyrénéennes, elle a répondu à la petite Bernadette Soubirous qui lui demandait son nom : « Je suis l’Immaculée Conception. »
Ainsi, au début même de son existence, voilà la dot magnifique que Dieu le Père offre à sa fille bien-aimée, voilà les riches joyaux que l'Esprit Saint apporte à son épouse des jours à venir dont naîtra Jésus-Christ, voilà les trésors de sainteté que le Verbe dépose dans le cœur de celle qui sera sa mère.
Comment ne pas vous laisser aller au charme d'une pareille aurore et ne pas vous écrier avec l'Eglise en ce jour où elle fête l'Immaculée : « Je vous salue, pleine de grâce, vous êtes toute belle et il n'y a point de tache en vous. Votre vêtement est blanc comme la neige et votre visage resplendit comme le soleil » ?
Hélas ! que pouvons-nous de plus que cette acclamation ? Est-ce que ce privilège de l'Immaculée Conception ne place pas déjà Marie dans un ordre à part ? Quoi de commun désormais entre cette bénie du Seigneur et les maudits que nous fûmes à l'instant de notre conception ? Qu'il traduit bien le sentiment de tristesse de toute l'humanité, le soupir du roi David : « Pour moi, J'ai été conçu dans le péché et dans l'iniquité » !
Adorons dans la soumission de la foi le mystère de ce privilège ; félicitons l'enfant de notre race qui en a été l'objet ; humilions-nous au souvenir de notre déchéance native.
Mais, encore une fois, que pouvons-nous de plus, semble-t-il, que cette adoration, que cette louange, que cette humilité ?
Détrompons-nous, mes bien chers amis, de par notre vocation de chrétiens et notre baptême, et pour certains notre sacerdoce – grandeurs auxquelles nous ne réfléchissons pas assez – nous sommes plus près de l'Immaculée que nous ne le pensons.
Bien plus, de ce mystère si spécial à la T. S. Vierge, nous pouvons tirer les enseignements les plus réalistes, les plus bénéfiques, les plus pratiques pour la vie de notre âme, si seulement nous prenons la peine d’évaluer les motifs qui convainquent Dieu de conférer à la Vierge un si grand privilège.
Pourquoi ce privilège de l'Immaculée Conception accordé à Marie et à Marie seule ?
Mais évidemment en vue de ses prérogatives à venir et, en définitive, en vue de celle de ces prérogatives qui commande toutes les autres : sa maternité divine.
Oui, dès le moment de la conception de la Vierge, comme de toute éternité, ab æterno, Dieu le Père regarde Marie comme la mère future de son divin Fils.
Il destine cette enfant aux sublimes fonctions de concevoir Jésus, de lui donner naissance, de le nourrir, de le porter dans ses bras avec le pouvoir de l'appeler comme lui, avec autant de vérité que le Père des cieux : « Mon Fils ! »
Il sait donc que tous les membres de ce corps aujourd'hui si frêle seront un jour au service de Jésus ; que ses lèvres pourront baiser son front et ses joues, que ses mains le caresseront et le presseront contre son cœur, que ses bras le berceront comme on berce les enfants des hommes.
Et voilà pourquoi, à cause de cette destinée future, Dieu ne veut pas que l'être de cette enfant soit souillé, même un instant, de la lèpre du péché.
Sancta Sanctis : il faut être saint pour toucher les choses saintes. Il faut être saint suréminemment, et dans un ordre à part, pour toucher le Saint des Saints, Jésus.
Aussi, comme au cours de la vie de la Vierge, Dieu la préservera non seulement de tout péché mortel, non seulement de toute faute légère, mais encore de toute imperfection, ainsi la veut-il préserver dès sa conception de la tache originelle, de ce péché où pourtant nous apparaît à peine notre part de responsabilité.
Il ne convient pas que le premier ciboire vivant de Jésus et son premier ostensoir soient faits d'un or que je dirais d'occasion, d'un or terni puis remis à neuf. Il les veut purs et brillants comme un diamant de belle eau.
Marie correspond à cette toute première grâce et elle peut chanter les paroles que l'Eglise met sur ses lèvres en la fête de l'Immaculée Conception : « Joyeuse, je me réjouirai dans le Seigneur et mon âme exultera en mon Dieu, car Il m'a revêtue des vêtements du salut, il m'a enveloppée d'un manteau de justice, comme l'épouse parée de ses bijoux. »
Devant cette économie du mystère de l'Immaculée Conception, je veux dire, devant ces raisons qui motivèrent de la part de Dieu ce privilège singulier, comment ne pas nous rappeler que notre prédestination chrétienne nous met nous aussi dans la plus étroite parenté avec Jésus, avec la Trinité tout entière ? Et comment ne pas penser que vous, jeunes séminaristes tonsurés, que vous, jeunes sous-diacres, diacres, et que nous, prêtres, nous devons correspondre chaque jour de notre vie à cette première grâce du baptême, si nous voulons appartenir éternellement à sa famille ?
Chrétiens, nous sommes vraiment de la famille de Dieu. Y avons-nous vraiment pensé ?
Rappelez-vous cette belle anecdote de la vie de Notre Seigneur Jésus Christ.
Un jour, il parlait dans une maison de Capharnaüm. La maison était comble, tant son auditoire était nombreux. Venus pour le voir et lui parler, Marie et ses parents ne purent l'approcher à cause de la foule.
Ils prièrent donc ses auditeurs d'aviser Jésus de leur présence. Quelqu'un lui cria dans l'assemblée : « Maître, votre mère et vos autres parents sont dehors et désirent vous parler. »
Et Notre-Seigneur, élevant les yeux et étendant les bras sur tous ceux qui l'écoutaient, répondit : « Voici ma mère et voici mes frères; car quiconque fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux, celui-là est mon frère... et ma mère. »
Frères très chers, comprenez-vous bien le sens de ces paroles ? Ce n'est pas le lieu d'indiquer ici qu'elles ne diminuaient en rien, mais qu'elles grandissaient au contraire la T. S. Vierge.
Notons seulement que Notre Seigneur voulait nous enseigner que, par notre prédestination chrétienne, par la grâce du baptême – et pour certains celle du sacerdoce – par la totale fidélité à cette grâce dans l'accomplissement des commandements de Dieu et de l'Eglise, nous devenons spirituellement et réellement, membres de sa famille, nous devenons ses frères et sa mère.
Nous devenons ses frères, nés à une vie plus haute, à une vie plus noble, à la vie divine, à sa vie à lui, non plus de la chair ni du sang, mais par la volonté de Dieu, avec le droit au même héritage que ce frère aîné, avec le droit au ciel.
Nous devenons sa mère, puisque nous l'enfantons dans notre âme par notre correspondance à la grâce; nous devenons sa mère, puisque nous le faisons croître en nous par la pratique des vertus chrétiennes.
Nous devenons sa mère, puisque par nos prières, nos exemples, nos paroles, nous aidons à sa naissance et à sa croissance dans le cœur des hommes, nos frères.
Nous devenons sa mère, nous qui l’enfantons chaque jour sur les saints autels.
Jamais o grand jamais nous ne comprendrons les richesses incommensurables que Dieu a mis à notre disposition par le saint baptême, par sa grâce, par son amour diffusé en notre être, par son sacerdoce donné gratuitement à ces pauvres hommes que nous sommes.
Peut-être faudra-t-il en être privés pour les comprendre, et sans doute – à cause de la grande misère du début de ce troisième millénaire – la mort par le martyre de chrétiens ouvrira-t-elle de nouveau les yeux à nous-mêmes et à nos tristes contemporains ?
Ainsi, aujourd’hui, c'est l'Immaculée, la toute pure, qui vient vers les souillés. Ah ! c'est qu'elle sait quel privilège unique Dieu lui a fait en la préservant du péché originel et de ses conséquences, de cette concupiscence qui nous entraîne au mal de tout son poids.
A la pensée que ses frères et ses enfants n'ont pas eu la même grâce de préservation et de protection, elle sent son cœur pris d'une immense pitié fraternelle et maternelle.
Et voilà pourquoi c'est elle qui abaisse sur nous des yeux de miséricorde, misericordes oculos, quand nous lui disons dans nos tentations, avec toute la confiance d'un enfant pour sa mère, la belle prière inscrite sur la Médaille miraculeuse : « O Marie, conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous. »
Voilà, frères très chers, la grande leçon de ce mystère de l'Immaculée Conception, qui pourrait sembler à première vue sans portée immédiate d'exemple sur notre vie chrétienne, tellement il place Marie en dehors et au-dessus de la voie commune, au-dessus de nos poussières et de nos fanges.
A cause de sa vocation de Mère de Dieu, Marie a été préservée du péché originel, et dès le premier instant de son existence et toujours, elle a correspondu à cette grâce insigne en gardant sa robe d'Immaculée, pure de tout péché, dans sa blancheur première.
A cause de notre vocation d'enfants de Dieu et de frères de Jésus-Christ, nous avons été purifiés du péché originel par le sacrement du baptême ; dès cet instant et toujours, à l'exemple de Marie, nous devons correspondre à cette grâce insigne en gardant notre robe baptismale pure de tout péché, dans sa splendeur d'alors.
Notre baptême, voilà qui rapproche de nous l'Immaculée ou plutôt nous rapproche de l'Immaculée.
Plus encore, notre sublime vocation à nous consacrer au Seigneur par le service de l’autel comme clercs, diacres ou prêtres, voilà qui nous rapproche bien plus encore de l'Immaculée Conception.
Notre sacerdoce même nous rend semblable à Elle par le fait de donner au monde le Verbe de Dieu. Les constitutions de notre cher Institut nous le rappellent avec force.
C’est aujourd’hui d’ailleurs que tout l’Institut se consacre de nouveau à la toute pure Reine du ciel et de la terre.
Mais pour que cette consécration soit agréée, pour que cette consécration soit efficace, pour que cette consécration porte de merveilleux fruits, il nous faut nous rappeler, il nous faut nous convaincre que Dieu a choisi et aimé Marie parce qu’elle est la toute pure, la toute belle, la toute bonne.
La perfection de Marie, l’éclat de la Vierge pure, le parfum délicieux de son cœur s’opposent irrémédiablement au péché et à Satan. Le mal, le péché, voilà ce que Dieu a en horreur par-dessus tout.
Si nous voulons que cette consécration soit efficace, si nous voulons que l’Immaculée Conception transforme nos cœurs, nos âmes, si nous voulons que l’Immaculée Conception protège nos vies, nos engagements, notre cher Institut, il nous faut en échange nous immoler pour Elle, lui présenter nos sacrifices et nos résolutions, notre volonté de fuir le mal, le péché et Satan, le Prince de ce monde.
Imiter Marie, voilà notre ambition en cette solennité de l’Immaculée, spécialement dans ses vertus d’humilité, de pureté et de droiture, afin de connaître un accroissement de grâces, et qu’ainsi notre vie soit un véritable Magnificat.
Ainsi soit-il !