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La Purification
Gricigliano, 2 février 2014
Le mystère qui s’offre à nous en ce jour a été considéré comme une solennité dans l’Eglise depuis la plus haute antiquité, nous dit dom Guéranger. L'Eglise Romaine l’a toujours compté entre les fêtes de la sainte Vierge. Sans doute, l'Enfant Jésus est offert aujourd'hui dans le Temple et racheté ; mais c'est à l'occasion de la Purification de Marie, dont cette offrande et ce rachat sont comme la conséquence. Et la gloire du Fils, loin d'être obscurcie par les honneurs que l'Eglise rend à la Mère, en reçoit un nouvel accroissement, puisque lui seul est le principe de toutes les grandeurs que nous révérons en elle[1].
Quarante jours près la Nativité, Joseph et Marie montèrent à Jérusalem avec le petit Enfant pour accomplir la double loi mosaïque. S. Cyrille d’Alexandrie s’exclame : « O profondeur des conseils de la sagesse et de la science de Dieu ! Celui qui est honoré avec son Père dans tous les sacrifices, lui offre lui-même des victimes; la vérité observe les cérémonies figuratives de la loi, celui qui comme Dieu est l’auteur de la loi, se soumet comme homme aux prescriptions de la loi ! [2]»
Jésus était le législateur suprême de tout le rituel juif ; son enfantement avait été miraculeux et virginal, et il n’avait pas à être consacré au Seigneur, étant le propre Fils de Dieu. Et Marie était en pleine conformité de sentiments avec l’âme de son Fils.[3] La Vierge sainte n’avait nul besoin d’attendre le jour de sa purification, elle qui, ayant conçu de l’Esprit-Saint, n’avait contracté aucune souillure. « O Père, avait dit Jésus en entrant dans le monde, vous ne voulez plus d’offrandes ni d’holocaustes : mais vous m’avez donné un corps pour vous l’immoler : me voici, je viens pour accomplir votre volonté.[4] » Ecce Venio. Et qu’avait dit la Vierge ? « Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole.[5] »
A son tour, le vieillard Siméon reçoit entre ses mains son Rédempteur et, dans le Temple, offre pour la première fois la céleste victime au Père éternel ; L’offertoire qui a lieu ce jour-là doit désormais s’achever par la consécration totale du sacrifice du Calvaire. Les deux sont inséparables, la Sainte Vierge en a le pressentiment et saint Siméon le confirme : « Un glaive de douleur vous transpercera le cœur. » Mystère joyeux, la purification annonce déjà les mystères douloureux. Et sa place dans l’année liturgique, entre le temps après l’Epiphanie et le Carême, est riche de signification. De façon insolite, la liturgie mêle le violet de la pénitence et le blanc de la joie ; elle commence la fête de jour par les antiennes de l’octave de la Nativité et l’antienne mariale « Alma Redemptoris Mater » et l’achève par le rangement de la crèche et l’« Ave Regina Caelorum ».
Saint Thomas justifie ainsi la convenance de ce double acte d’obéissance de la Mère et du Fils, dans la question 37 : « La plénitude de la grâce ne dérive-t-elle pas du Christ dans sa Mère ? Il fallait donc aussi que la mère se conformât à l’humilité de son fils, bien que l’un et l’autre ne soient pas soumis à la loi, afin de donner l’exemple de l’humilité et de l’obéissance, d’approuver la loi et d’enlever aux Juifs l’occasion de le calomnier.[6] »
Sur ce sujet, saint Bernard n’a pu contenir son admiration : « Il leur était soumis (Luc., II, 31). » Il ; qui, il? et à eux; à qui, à eux? Un Dieu soumis à des hommes, un Dieu, dis-je, à qui les anges mêmes sont soumis, les Principautés et les Puissances obéissent, soumis lui-même à Marie. O homme, apprends à obéir, terre et poussière, apprends à plier et à te soumettre. En parlant de ton Créateur, l'Evangéliste dit: « Et il leur était soumis, ». Rougis donc, ô cendre orgueilleuse ! Un Dieu s'abaisse et toi tu t'élèves ! Un Dieu se soumet aux hommes, et toi, non content de dominer tes semblables, tu vas jusqu'à te préférer à ton Créateur ?[7] »
La richesse du mystère de ce jour donnerait sujet à plusieurs sermons. Permettez-moi de méditer un peu avec vous sur la vertu d’obéissance dont Notre-Seigneur et sa Mère nous donnent aujourd’hui un merveilleux exemple.
Cette vertu a plus mauvaise réputation que jamais. Pour le monde, l’obéissance à la loi est une nécessité exigée par le contrat social que les hommes nouent entre eux parce qu’ils y voient chacun leur intérêt propre. Soumission suppose servitude, c’est-à-dire l’aliénation de la liberté. Mais le monde n’a pas compris ce qu’était la liberté…
Ecoutons saint François de Sales, dans les Vrais Entretiens Spirituels : « L’obéissance est une vertu morale qui dépend de la justice. Or, elle a tant d’affinité avec les vertus théologales, qui sont la foi, l’espérance et la charité, qu’elle semble presque théologale. Charité et obéissance ne peuvent être séparées. L’amour nous fait obéir promptement et gracieusement, et si difficile que soit la chose commandée, celui qui a l’obéissance amoureuse l’entreprend amoureusement. L’obéissance aime souverainement la soumission. Par conséquent l’obéissant aime le commandement, et dès qu’il l’aperçoit de loin, qu’il soit selon son goût ou non, il l’embrasse et le caresse tendrement. [8]» C’est dans ce sens qu’il faut entendre le grand maître-mot de l’esprit salésien : « Il faut faire tout par amour, et rien par force. Il faut plus aimer l’obéissance que craindre la désobéissance. »
Cette vertu, notre Saint la préfère même au martyre : « mieux vaut vivre en obéissance et mourir tous les jours en vivant, par une continuelle mortification de soi-même et de ses passions, que de martyriser son imagination. Meurt assez martyr qui bien se mortifie; c’est un plus grand martyre de persévérer toute sa vie en obéissance, que de mourir tout d’un coup par le glaive. »
Si le Docteur de l’Amour a cette vertu en telle estime, c’est qu’il la voit dans le Cœur de Notre-Seigneur. Et nous pouvons imiter cette forme parfaite, qu’il nomme « obéissance amoureuse » : « L’obéissance est une vertu si excellente que Notre-Seigneur a voulu diriger tout le cours de sa vie par obéissance, ainsi qu’il l’a dit tant de fois : il n’est pas venu pour faire sa volonté (Joan., IV, 34, V, 30, VI, 38 ; Heb., X, 9); et l’Apôtre dit qu’il s’est fait obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix (Philip., II, 8). Il a voulu joindre au mérite infini de sa parfaite charité le mérite infini d’une parfaite obéissance. Car il est meilleur de faire un acte de charité par obéissance que de notre propre mouvement. »
L’obéissance de Notre-Seigneur, pour nous, est une difficulté théologique et un objet d’étonnement. Car pour Lui, c’est sa raison de vivre : « Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père. » Il est son Fils unique : « J’aime le Père, et j’agis comme le Père m’a ordonné ». « Je fais toujours ce qui plaît à mon Père ». Jésus semble même lui sacrifier sa liberté la plus élémentaire : « Je vis par le Père ». « Le Fils ne peut rien faire de Lui-même, s’il ne le voit faire par le Père ». Sa mission l’habite tout entier, la mission du Fils se confond avec son Etre. Et c’est du Père qu’il les tient tous deux. Cette dépendance est donc pour le Christ une exigence vitale. Et l’obéissance chrétienne est la vertu qui nous rapproche le plus de cette relation intime du Fils au Père. C’est donc par l’obéissance que celui qui aime Dieu pourra participer au mieux aux relations trinitaires, en devenant fils adoptif de Dieu par les mérites de son Fils unique. C’est par l’obéissance que s’extériorise la vie spirituelle la plus élevée, car en obéissant aux hommes, c’est à Dieu qu’on se soumet. C’est pourquoi cette vertu est celle des plus grands saints, comme l’a compris S. François de Sales (nous citons ici le Traité de l’Amour de Dieu) :
« L’obéissance d’amour est la sainte bienveillance par laquelle nous jetons toutes nos affections entre les mains de la divine volonté, les soumettant à Dieu pour sa seule bonté, qui mérite que toute volonté lui obéisse, en se conformant en tout et partout à ses intentions. [9]»
Soumettant son propre cœur, saint François de Sales conclut ainsi : « Théotime, notre libre-arbitre n’est jamais si libre que quand il est esclave de la volonté de Dieu ; et il n’est jamais si esclave que quand il sert notre volonté propre. Qui donnera la liberté en ce monde pour l’amour de Dieu, sa liberté se trouvera convertie en amour et l’amour en liberté, mais liberté de douceur infinie ; sans effort, sans peine et sans répugnance aucune, nous aimerons invariablement et à jamais le Créateur et le Sauveur de nos âmes [10]».
Ainsi soit-il.[1] Dom Guéranger – Année liturgique
[2] S. Cyrille d’Alexandrie – Ch. des Pères grecs. Homélie 17
[3] Dom Marmion – Le Christ dans ses mystères p.175 Chp IX.2
[4] Hébreux 10. 5-7
[5] Luc 1.38
[6] S. Thomas d’A. – S.T. IIIa Q.37 a.4
[7] S. Bernard – Sermon I super « Missus est »
[8] Vrais Entretiens Spirituels. XI. De la Vertu d’obéissance
[9] Traité de l’Amour de Dieu. Livre 8, chp 2
[10] Traité de l’Amour de Dieu, Livre 12, chp 11