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Sermon pour la fête de la Toussaint 2012
MM. les chanoines,
Ma révérende Mère,
Chers séminaristes,
Chères sœurs,
Mes bien chers frères,
Venite benedicti Patris mei, possidete regnum.
Venez les bénis de mon Père, posséder mon royaume.
C’est Notre-Seigneur Jésus-Christ qui nous appelle tous, en cette solennité de la Toussaint. Il bénit les pécheurs convertis, les justes fortifiés, les anciens, les jeunes, les enfants.
Il nous bénit et Il nous invite tous à aller au Ciel – possidete regnum – afin de nous exciter à la persévérance, et en particulier ceux qu’il a appelés à Le suivre, ses fils de prédilections, les prêtres et les futurs prêtres.
Nous tous, qui sommes encore dans cette vallée de larmes, où des maux de toutes sortes tourmentent ou accablent tant nos âmes que nos corps ; nous sommes aujourd’hui dans la joie – Gaudeamus – car la liturgie nous propose de méditer, mieux encore de contempler, la gloire des Saints en Paradis.
De ceux qui nous ont précédés, qui ont connu parfois de cruels tourments, de terribles tentations, de dangereuses situations lorsqu’ils étaient sur la terre, et qui sont désormais dans la Béatitude : « ils ont mené le bon combat et portent ainsi la couronne de gloire » nous dit Saint Paul.
Essayons d’entrevoir brièvement quelle sera cette béatitude qui nous attend si nous prenons la même voie que nos ancêtres dans la foi : les saints.
Quel sera donc le bonheur de ceux qui seront appelés les élus ? Notre bien aimé Saint Patron, Saint François de Sales, nous dit dans l’Introduction à la vie dévote : « Le mot de béatitude et de félicité fait assez entendre ce que c'est ; car il nous signifie que c'est un lieu de toutes consolations, où tous bonheurs et bénédictions sont compris et retenus. »
Nous pourrions par trois mots définir ce bonheur éternel : videbimus, amabimus, vacabimus.
Videbimus. Enfin nous verrons, nous verrons sans la foi. Nous verrons Dieu face à face selon bien sûr nos possibilités de Le recevoir ; mais notre intelligence sera comblée, même si elle est médiocre. Chacun sera comblé selon sa mesure.
Amabimus. Nous aimerons par toute la volonté et le cœur. Nous aimerons d’une manière totalement désintéressée, totalement purifiée, nous aimerons pour Dieu et nous nous sentirons aimés de Lui.
Vacabimus. Voilà l’éternel repos auquel nous aspirons et que nous appelons en faveur des défunts lors des messes de Requiem.
1. Videbimus.
Ici-bas, nous voyons les œuvres de Dieu, du moins la surface extérieure, puis nous découvrons par l’étude quelques rayons de Vérité. La foi vient et nous dit de Dieu des merveilles, et l’Eglise nous enseigne des vérités certaines, des vérités fondamentales, mais quasi per speculum in enigmate : Oui mon Dieu, je crois en vous mais je ne vous vois pas’.
Nous appelons Dieu Notre Père, nous levons vers Lui nos mains, nous ouvrons nos cœurs pour recevoir sa grâce, mais – pauvres enfants que nous sommes, hommes mortels et pécheurs – notre condition actuelle ne nous permet pas de voir ce Père si bon, si beau, si généreux. Quelle douleur, lorsqu’on aime, de ne pouvoir contempler l’être aimé. Cependant, mes bien chers frères, c’est une grâce de sentir cette privation. Réjouissez-vous car vous n’êtes pas indifférents ou tièdes !
Sainte Thérèse, après une vision du Ciel, disait : « A partir de cette époque, j’étais remplie de honte à la seule pensée que je fusse encore capable, je ne dis pas de m’affectionner, mais de m’arrêter même à quelque chose de créé ; le monde me paraissait être une fourmilière. Dévorée de la soif de voir Dieu, lorsque j’entendais sonner l’horloge, je tressaillais de joie dans la pensée de toucher d’un peu plus près au fortuné moment et que c’était une heure de moins à passer en cette vie. »
Videbimus, oui nous verrons Dieu. Notre intelligence – qui est l’œil de l’âme – au Ciel, Le verra, non à travers un voile, non en partie, non à la surface, mais sans nuages, face à face et tel qu’Il est. Là encore, Saint François de Sales nous apporte son précieux enseignement : « Nous verrons face à face (I Cor.XIII,12) et très clairement la divine Majesté, l'essence de Dieu et le mystère de la Très Sainte Trinité, en laquelle vision et claire connaissance consiste notre félicité essentielle. »
Avez-vous quelquefois pensé quel sera notre ravissement en entrant dans le Ciel ? quand notre regard plongera dans ces merveilles ; quand éclateront aux yeux de notre âme la grandeur, la gloire, la puissance, la beauté, la bonté, la sainteté, l’immensité de Dieu ? Nous verrons les trois personnes divines, le Père, le Fils, le Saint-Esprit, leur éternelle union en une seule nature : Dieu.
Le Traité de l’amour de Dieu de notre saint docteur, Saint François de Sales, nous fait déjà goûter le Ciel : « Là nous entendrons [nous dit-il] et participerons à ces très adorables conversations et à ces divins colloques qui se font entre le Père, le Fils et le Saint Esprit. Nous entendrons, dis-je, comme le Fils entonnera mélodieusement les louanges dues à son Père céleste et comme il lui représentera, en faveur de tous les hommes, l'obéissance qu'il lui a rendue tout le temps de sa vie. Nous ouïrons aussi, en contre-change, le Père éternel prononcer d'une voix éclatante et avec une harmonie incomparable ces divines paroles que les Apôtres entendirent au jour de la Transfiguration : ‘Celui-ci est mon Fils bien aimé auquel je me suis complu’, et le Père et le Fils parlant ensemble du Saint Esprit : ‘C'est ici notre Esprit, procédant de l'un et de l'autre, dans lequel nous avons mis tout notre amour’. »
En Dieu nous verrons tout, tout c’est-à-dire tout : tous les secrets de sa Providence qui aujourd’hui nous étonnent, peut-être même nous scandalisent. Là nous verrons avec quelle sagesse Dieu a tout fait. Nous pénètrerons les mystères que nous ne pouvons comprendre aujourd’hui ; nous en mesurerons l’insondable profondeur, nous en admirerons les beautés : depuis les grandeurs de cet univers, dont les hommes cherchent quelque peu à découvrir les mystères, jusqu’aux aléas des petits détails de notre petite vie personnelle. Quelle surprise ! quelle admiration !
Permettez-moi de citer l’Aigle de Meaux, le grand Bossuet, qui dans la Préparation à la mort a cette envolée : « quand vous verrai-je, ô le bien unique ! quand vous verrai-je ? quand jouirai-je de votre face désirable, ô vérité, ô vraie lumière, ô bien, ô source du bien, ô tout le bien, ô le tout parfait, ô le seul parfait, ô vous qui êtes seul, qui êtes tout, en qui je serai, qui serez en moi, qui serez tout à tous, avec qui je vais être un seul esprit ?
Mon Dieu, je vous aime ! Mon Dieu, ma vie et ma force, je vous aime, je vous aimerai ; je verrai vos merveilles. Enivré de votre beauté et de vos délices, je chanterai vos louanges.
Tout le reste est passé, tout s’en va autour de moi comme une fumée ; mais je m’en vais où tout est. Dieu puissant, Dieu éternel, Dieu heureux, je me réjouis de votre puissance, de votre éternité, de votre bonheur.
Quand vous verrai-je, ô principe qui n’avez point de principe ? Quand verrai-je sortir de votre sein votre Fils qui vous est égal ? Quand verrai-je votre Saint-Esprit procéder de votre union, terminer votre fécondité, consommer votre éternelle action ?
Tais-toi, mon âme, ne parle plus. Pourquoi bégayer encore quand la vérité va parler ? »
Au Ciel, Le voyant tel qu’Il est, nous l’aimerons infailliblement. L’intelligence voyant ainsi Dieu face à face, la volonté et le cœur s’attacheront inéluctablement à Lui.
Amabimus ! La foi n’aura plus lieu, l’espérance aura cessée, la charité, elle, ne finit point : Caritas non excidit, Deus caritas est ! Ici-bas, l’amour est faible, car nous ne connaissons Dieu qu’imparfaitement. Au ciel, nous n’aurons plus cette lourdeur provoquée par l’excès d’amour de nous-mêmes, avec son train de péchés. Non, là, toutes nos puissances seront absorbées par cet amour ; nous aimerons, non plus seulement par devoir, mais tout notre bonheur sera dans cet amour. Nous ne pourrons nous défendre de L’aimer, nous L’aimerons ardemment et paisiblement avec une pureté telle que nous ne pouvons l’imaginer. Tout amour de nous-même sera exclu, nous L’aimerons plus que tout, et même uniquement.
Nous nous perdrons dans cet océan d’amour, comme une étincelle dans un gigantesque brasier, comme une goutte d’eau dans la mer, comme une petite lumière dans celle du soleil. Le cœur aimera de toutes ses forces, il se livrera à Dieu pleinement et Dieu se donnera à ce cœur et se laissera posséder par lui.
Quel est donc ce repos dans cette possession ? Saint Augustin nous le dit : « En Lui, gloire, beauté, richesses, plaisir, Dieu tout à nous et nous tout à Dieu. » Vacabimus. Deus omnia in omnibus. En Le possédant, on possède tout.
Saint Augustin souligne, Similes ei erimus. En Le voyant, en L’aimant, en Le possédant, nous Lui serons semblables, incapables de pécher, de mourir, de souffrir ; puissants, heureux comme Dieu, immortel, … comme Lui.
Nous possèderons cette paix, cette tranquillité, non passives, bien au contraire toute active dans l’amour qui se donne et qui reçoit. Toutes nos facultés, même corporelles – puisqu’à la fin des temps, pour être pleinement hommes en corps et en âme, nous retrouverons, à la suite de Notre-Seigneur, de la Très Sainte Vierge Marie, de Saint Joseph, d’Elie et d’autres privilégiés, notre corps, celui que notre âme immortelle a animé, porté, supporté dans notre pérégrination terrestre – toutes nos facultés, même corporelles, seront comblées, transfigurées, car elles trouveront leur fin en Dieu Amour.
L’œil verra la gloire des habitants du Ciel, la gloire de la Très Sainte Vierge, des Patriarches, des Prophètes, des Martyrs. Quel ravissement !
Puisse cette solennité raviver en nous un tel amour de Dieu et de notre prochain, provoquant ainsi par irradiation, une profusion de charité qui éclaire et réchauffe tous ceux qui nous entourent. Nous cherchons le bonheur, nous cherchons la béatitude, nous cherchons toujours et encore !… La Sainte Eglise, nous le dit de nouveau ce matin : tournez-vous vers ceux qui, dès cette terre, dès cette vallée de larmes, ont trouvé : - les saints, - qui vous conduiront au Ciel.
Par l’intercession des saints, nous rappelle le vénéré Cardinal Siri, « l'Église du Ciel accompagne l'Église militante, non seulement moralement mais ontologiquement. Cette intercession n'est certainement pas moins puissante dans ses effets que la foi propre aux pèlerins de la terre capable de déplacer les montagnes. De plus, en vertu de cette intercession, ni l'Église ni les fidèles ne sont dans l'isolement. Les Saints, en vérité, peuplent la terre plus que les vivants. » Cardinal Joseph Siri, Lettre pastorale de juillet 1963 : Idéaux saints et céleste présence dans le monde.
Puissions-nous, nous tous ici réunis ce matin, nous retrouver un jour en leur compagnie au pied de leur Reine, la Très Sainte Vierge Marie, pour chanter éternellement les louanges de Dieu !
Ainsi soit-il !