« Une Pensée par Jour »
du Traité de l’Amour de Dieu
9 novembre
2010
« Il y a certains
oiseaux, Théotime, qu’Aristote nomme apodes (sans pieds, hirondelles de
mer), parce qu’ayant les jambes extrêmement courtes, et les pieds sans
force, ils ne s’en servent non plus que s’ils n’en avaient point ; que
si une fois ils prennent terre, ils y demeurent pris, sans que jamais
d’eux-mêmes ils puissent reprendre le vol ; d’autant que n’ayant nul
usage des jambes ni des pieds, ils n’ont pas non plus le moyen de se
pousser et relancer en l’air, et partant ils demeurent là croupissant,
et y meurent, sinon que quelque vent propice à leur impuissance, jetant
ses bouffées sur la face de la terre, les vienne saisir et enlever,
comme il fait plusieurs autres choses ; car alors si, employant leurs
ailes, ils correspondent à cet élan et premier essor que le vent leur
donne, le même vent continue aussi son secours envers eux, les poussant
de plus en plus au vol.
Théotime, les anges sont comme les oiseaux, que pour leur beauté et
rareté on appelle oiseaux de paradis, qu’on ne voit jamais en terre que
morts ; car ces esprits célestes ne quittèrent pas plus tôt l’amour
divin pour s’attacher à l’amour-propre, que soudain ils tombèrent comme
morts ensevelis ès enfers, d’autant que ce que la mort fait ès hommes,
les séparant pour jamais de cette vie mortelle, la chute les fit ès
anges, les séparant pour toujours de La vie éternelle ; mais nous autres
humains, nom ressemblons plutôt aux apodes ; car s’il nous advient de
quitter l’air du saint amour divin pour prendre terre et nous attacher
aux créatures, ce que nous faisons toutes les fois que nous offensons
Dieu ; nous mourons vraiment, mais non pas d’une mort si entière qu’il
ne nous reste un peu de mouvement, et avec cela des jambes et des pieds,
c’est-à-dire quelques menues affections qui nous peuvent faire faire
quelques essais d’amour ; mais cela pourtant est si faible, qu’en vérité
nous ne pouvons plus de nous-mêmes déprendre nos cœurs du péché, ni nous
relancer au vol de la sacrée dilection, laquelle, chétifs que nous
sommes, nous avons perfidement et volontairement quittée. Et certes,
nous mériterions bien de demeurer abandonnés de Dieu, quand avec cette
déloyauté nous l’avons ainsi abandonné ; mais son éternelle charité ne
permet pas souvent à sa justice d’user de ce châtiment ; ainsi excitant
sa compassion, elle le provoque à nous retirer de notre malheur ; ce
qu’il fait, envoyant le vent favorable de sa très sainte inspiration,
laquelle venant avec une douce violence dans nos cœurs, elle les saisit
et les émeut, relevant nos pensées, et poussant nos affections en l’air
du divin amour. » |