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Conférence sur Louis XIV

de M. Philippe Pichot-Bravard, docteur en droit,
chargé d'enseignement en Histoire du Droit, en Histoire des idées politiques et en Histoire de l'Eglise,
professeur au séminaire.


 

Le dimanche 5 septembre 1638, après vingt-trois ans de mariage, la reine Anne d’Autriche est sur le point de donner naissance à un enfant. Tout le royaume est en en prière depuis le 28 août. Des prières publiques ont lieu à Paris ; le Saint Sacrement est exposé dans toutes les églises : les Français attendent avec impatience l’heureux événement et espèrent que cette naissance permettra à la couronne de France d’avoir enfin un héritier, un Dauphin.

Le 10 février, dans une déclaration, Louis XIII, conseillé par le Cardinal de Richelieu, a consacré à la Sainte Vierge, « notre personne, notre état, notre couronne, et tous nos sujets ».

La naissance de l’enfant royal est attendue par tout un peuple, qui, fervent, supplie Dieu de donner à la France un Dauphin.

Et Dieu exauça la prière de la France : en fin de matinée, peu avant midi, naît Louis-Dieudonné.

Un Te Deum est célébré à Saint-Germain-en-Laye quelques instants après la naissance ; un Te Deum est célébré le lendemain à Notre Dame de Paris. Tout le clergé de la ville y assiste, ainsi que le Corps de Ville et les magistrats du Parlement de Paris en robe rouge.

Dans les heures qui ont précédé, dans toutes les églises de Paris, des Te Deum avaient été chantés, et bientôt, dans toutes les paroisses du royaume, des feux de joie, des feux d’artifice, des réjouissances populaires célèbrent l’événement. On n’avait jamais vu une telle joie à l’occasion d’une naissance royale.

Dieu a donné un Dauphin à la France.

Quatre ans et demi plus tard, le 14 mai 1643, après plusieurs semaines d’agonie, rongé par une maladie terrible, Louis XIII meurt en odeur de sainteté, avec Monsieur Vincent à son chevet, le jeudi de l’Ascension, à trois heures de l’après-midi, trente-trois ans jour pour jour, heure pour heure après son avènement.

Le dauphin Louis-Dieudonné, en vertu des lois fondamentales du royaume, devient à l’instant même le roi Louis XIV. Son règne commence sous la régence de sa mère Anne d’Autriche.

Commence ce 14 mai 1643 le règne le plus long de l’Histoire de France, l’un des plus longs de l’histoire du monde : soixante-douze ans et trois mois. Il y a de nombreux Français qui sont nés sous Louis XIV, qui se sont mariés sous Louis XIV, qui ont eu de nombreux enfants sous Louis XIV, qui se sont remariés sous Louis XIV, qui ont mariés leurs enfants et qui sont morts sous Louis XIV, et à ce un âge très respectable ! 

Soixante-douze ans et trois mois dont cinquante-quatre ans de gouvernement personnel : règne décisif, règne marquant. Louis XIV a marqué l’Histoire par les nombreuses réformes qu’il a effectuées au sein de l’Etat, afin de restaurer l’autorité de celui-ci au lendemain de la Fronde.

Il a marqué l’Histoire également, par la position dominante qu’il a su conserver dans le concert des nations. Il a marqué l’Histoire par un comportement, par une discipline personnelle surhumaine qui le porta à être le Roi à chaque instant de sa vie, dans toutes ses paroles, dans tous ses gestes : « Nous ne nous appartenons pas, nous sommes tout entier au public ».

Ces trois aspects : le caractère du roi, les réformes qu’il a engagées, et la position dominante qu’il a conservée à la France dans le concert des nations, constitueront les trois aspects de cet exposé, et permettront, autant que faire ce peut, de dresser le portrait du Roi et de dégager la physionomie de son règne.

I – Etre Roi

 Ce qui est important pour un roi, c’est son éducation. Louis XIV a été peut-être plus que d’autres marqué par les événements de sa jeunesse, et par les enseignements qu’il en a tirés.

Cette éducation politique a été dirigée par celui que Louis XIII, son père, avait choisi pour être son parrain, qui n’était alors que le légat du pape, et qui est devenu dans l’intervalle, le successeur de Richelieu comme principal ministre, le cardinal Jules Mazarin.

 Louis XIV a été marqué enfant par les événements qu’il a vécus, la Fronde à l’intérieur, et la Guerre de Trente ans, prolongée par la guerre contre l’Espagne à l’extérieur.

 La Fronde d’abord ; de la Fronde, il a tiré le souvenir du désordre qui a ruiné la paix du royaume et menacé l’Etat ; désordre dû aux revendications des corps intermédiaires. L’idée que ces revendications n’aient pas eu pour objectif réel d’empiéter sur l’autorité de roi, mais de rétablir des équilibres perturbés par les mesures exceptionnelles prises au cours de la Guerre de Trente ans, est absente de son esprit. Louis XIV est convaincu que les revendications des corps intermédiaires, des Parlements, des gentilshommes et des princes, ont perturbé la paix, menacé l’autorité de l’Etat et entravé l’action de la France au cours de la Guerre de Trente ans.

Sur la scène internationale, il reste marqué par le souvenir du prince de Condé, son cousin, qui a rejoint les Espagnols pour se placer à leur tête et diriger lui-même l’armée du Roi d’Espagne. Songez que cette guerre entre la France et l’Espagne s’est terminée par l’affrontement de deux généraux français. Du côté français, Turenne menait nos troupes, et du côté espagnol, se trouvait Condé, ce qui peut-être rendait la partie plus équitable ! Fort heureusement, c’est Turenne qui l’a emporté, permettant au cardinal Mazarin de négocier les traités des Pyrénées et du Nord dans les meilleures conditions possibles.

Marqué par le souvenir de cette Fronde, Louis XIV a aussi été marqué par la Guerre de Trente ans, cette guerre dans laquelle la France de Louis XIII et de Richelieu s’était engagée afin de secouer l’hégémonie de la Maison d’Autriche. Il s’agissait de rétablir l’équilibre dans les relations internationales, au profit de la France, de substituer à la prépondérance espagnole une prépondérance française. Cette guerre a exigé des efforts considérables. Ces efforts ont été couronnés de succès : la bataille de Rocroi, gagnée quelques jours après la mort de Louis XIII, a symboliquement marqué, par la défaite de l’invincible infanterie espagnole, le basculement d’une hégémonie espagnole à une hégémonie française.

Cette victoire a permis à Louis XIV, grâce au traité de Westphalie en 1648, puis au traité des Pyrénées en 1659, d’annexer de nouvelles provinces : une bonne partie de l’Alsace, le Roussillon et l’Artois. Tous cela, Louis XIV le doit à la persévérance de son père et du cardinal de Richelieu, dont l’action a été poursuivie par sa mère, la régente, et par le cardinal Mazarin.

Louis XIV, qui a la douleur de ne pas avoir connu son père, a le souci de conserver ce que celui-ci lui a légué. Son père lui a permis de régner sur la première puissance du monde. Il aura donc à cœur de conserver, et même de renforcer ce rang tout au long de son règne. 

Son éducation repose également sur l’enseignement dispensé par le cardinal Mazarin. Une fois passées les troubles de la Fronde, une fois proclamée la majorité du Roi, Mazarin s’est occupé de l’éducation du jeune Roi.

Il lui a donné des cours de politique. Il le recevait une heure ou une heure et demi chaque jour afin de faire le tour des dépêches, des évènements de la vie internationale, de lui expliquer l’état des affaires, d’éprouver ses capacités de raisonnement, de lui faire connaître son royaume : Louis XIV est, en effet, le dernier roi qui, dans sa jeunesse ait fait le tour de son royaume. Mazarin s’est employé à lui fait découvrir les différentes provinces, les unes après les autres pour lui donner une connaissance précise de son royaume.

L’enseignement de Mazarin a été précieux, et à certains égards redoutable. Précieux, parce que Mazarin est un grand diplomate. Très habile, il a remarquablement négocié pendant la Fronde face aux princes et aux Parlements ; il a su diviser les corps intermédiaires pour mieux les dominer, menaçant par exemple les Parlements d’une convocation des Etats généraux. Il a su aussi négocier avec l’Espagne et poser les fondements d’une paix durable, scellée par le mariage entre Louis XIV et l’infante Marie-Thérèse.

Mazarin a témoigné de son dévouement à l’Etat. Ce lecteur de Machiavel a mis en œuvre les conseils donnés par le Florentin pour arriver à ses fins, suscitant l’incompréhension des Parlements, des princes et des gentilshommes, hostiles à ce machiavélisme. Sicilien de naissance, Mazarin ne connaît pas bien les institutions françaises et leur esprit. Il n’en maîtrise pas bien les équilibres subtils : pour lui, les institutions reposent essentiellement sur le respect de la souveraineté du Roi et de l’autorité de l’Etat. Les bienfaits que le gouvernement peut retirer de la consultation des corps intermédiaires lui échappent. Or la conception que Louis XIV nourrira des institutions sera imprégnée de l’enseignement du cardinal Mazarin.

Louis  XIV, en bon filleul respectueux, attend patiemment que le cardinal Mazarin soit rappelé à Dieu pour prendre les rênes du gouvernement. Cela faisait quelques temps déjà qu’il aspirait à gouverner par lui-même, comme il l’écrit dans ses Mémoires, d’autant qu’il n’approuve pas tout ce qu’a pu faire le cardinal. Cependant, conscient de ce qu’il doit au cardinal, pour lequel il a de l’affection, il n’a pas voulu lui infliger une sorte de désaveu en prenant la barre avant sa mort ; Louis XIV a donc attendu que Mazarin s’éteigne pour gouverner par lui-même, ce qui a fini par arriver, le 8 mars 1661.

Dès le lendemain, Louis XIV convoque ses ministres, et leur dit : « Le théâtre du monde change ; désormais, je gouvernerai par moi-même, et je ne prendrai pas de premier ministre ».

         De quelle manière Louis XIV conçoit-il son métier de Roi ?

Aux yeux de l’Histoire, Louis XIV incarne l’idéal du roi. Lorsque l’on parle du « Roi », c’est de lui dont il est question. Louis XIV a été probablement de tous nos rois celui qui s’est consacré à la fonction royale de la manière la plus absolue. De ce rôle, il nourrissait une très haute idée ; contrairement à son descendant Louis XVI, il aimait ce métier de Roi : « Le métier de roi est grand, noble, et délicieux, quand on se sent digne de bien s’acquitter de toutes les choses auxquelles il engage, mais il n’est pas exempt de peines, de fatigues, d’inquiétudes. », écrit-il en 1679.

         Louis XIV aimait son métier de roi, il s’y consacrait entièrement, il y a tout sacrifié : « Nous ne nous appartenons pas, nous sommes tout entier au public », expliqua-t-il un jour à sa petite-fille. Il avait un sens aigu de ses devoirs, ce que traduit, d’une part, son ardeur au travail, et d’autre part, son sens de la représentation : Louis XIV était en représentation permanente, ce qui impliquait un immense effort sur soi-même.

         1-Le travail

Dans les Mémoires qu’il rédigea pour l’instruction du Dauphin Louis XIV insiste sur l’importance du travail  « quant au travail, […] je ne vous avertirai pas seulement là-dessus, que c’est toutefois par là qu’on règne, pour cela qu’on règne, et que ces conditions de la royauté qui pourront quelquefois vous sembler rudes et fâcheuses, en une aussi grande place, vous paraîtraient douces et aisées s’il était question d’y parvenir. Il y a quelque chose de plus mon fils, […] rien ne vous serait être plus laborieux qu’une grande oisiveté si vous aviez le malheur d’y tomber. […] Je m’imposais pour loi de travailler régulièrement deux fois par jour, et deux ou trois heures chaque fois avec diverses personnes, sans compter les heures que je passerais seul en particulier, ni le temps que je pourrais donner  extraordinairement aux affaires extraordinaires s’il en survenait, n’y ayant pas un moment où il ne fût permis de m’en parler, pour peu qu’elles fussent pressées, à la réserve des ministres étrangers qui trouve quelquefois dans la familiarité qu’on leur permet, de trop favorables conjonctures, soit pour obtenir, soit pour pénétrer, et que l’on ne doit guère  écouter sans s’y être préparé. ».

         Le Roi préside le conseil d’en-haut deux fois par semaine. La « grande politique » se décide là. C’est là que le Roi conduit la politique étrangère, ce qu’on appelle alors « la » politique. Le Roi préside également le conseil des dépêches. C’est au conseil des dépêches que le Roi veille à l’administration intérieure du royaume, examinant les dépêches des intendants chargés du gouvernement des provinces. Cependant, il laisse le plus souvent au chancelier le soin de présider le conseil royal des finances ou le conseil des parties, car ces conseils ont un rôle plus technique. 

         Louis XIV a l’habitude de gouverner oralement, et non par écrit, contrairement à ce que feront ses descendants, Louis XV et Louis XVI, qui seront des hommes de cabinet. Louis XIV gouverne par la parole.

2-  La représentation

L’ambassadeur de Venise relevait à cet égard qu’à plusieurs reprises il lui a été donné de constater que le Roi, affairé avec plusieurs courtisans, changeait d’attitude lorsqu’il voyait une nouvelle personne pénétrer dans la pièce où il se trouvait, se composant, pour l’accueillir, un visage vraiment royal.

         Il est en permanence sur la scène d’un théâtre, depuis l’instant de son réveil jusqu’au moment de son coucher. Il est le Roi à toute heure du jour. Le XVIIème siècle est une époque très théâtrale. Il a la passion du théâtre. Les hommes de ce temps vivaient en représentation. Ils avaient un sens aigu de leurs devoirs. Les gentilshommes cultivaient un certain sens art de vivre, plein de panache et de formules étincelantes. Un sens esthétique exigeant les imprègne. Ainsi, lorsque le marquis de Cinq-Mars monte à l’échafaud, en septembre 1642, il commence par en faire le tour afin de saluer, à grands coups de chapeau, le public venu le regarder jouer le dernier acte de sa vie. 

         Louis XIV joue son rôle de Roi. Il y sacrifie tout. Il n’a pas d’intimité. Seuls ses séjours à Marly lui offrent un peu de répit. Il s’y trouve en petit comité, entouré de quelques intimes minutieusement choisis. A la fin de son règne, ses séjours à Marly tirent un peu en longueur. Le poids des ans se fait sentir.

         La représentation que donne le Roi a pour théâtre l’ancien relais de chasse de son père : Versailles.

Théâtre de la représentation royale, Versailles devient en 1682 le cœur du gouvernement royal, le lieu où les décisions se prennent, où la politique de la France se définit. Les ministères sont à Versailles. Versailles est conçu pour être non seulement l’écrin de la monarchie, mais aussi la vitrine de la puissance, du savoir-faire et du génie français. Il est en outre le « temple » de la « liturgie » royale, une liturgie rythmée par l’Etiquette : « Il y a des nations où la majesté des rois consiste, pour une grande partie, à ne se point laisser voir, et cela peut avoir ses raisons parmi des esprits accoutumés à la servitude, qu’on ne gouverne que par la crainte et la terreur ; mais ce n’est pas le génie de nos Français, et, d’aussi loin que nos histoires nous en peuvent instruire, s’il y a quelque caractère singulier dans cette monarchie, c’est l’accès libre et facile des sujets au Prince… ». Tout le monde peut librement entrer dans le palais et se promener dans les Grands Appartements. Il suffit d’être habillé convenablement, d’avoir un chapeau et une épée, qu’on peut louer à l’entrée. Cette facilité engendre parfois des mésaventures : un jour, Louis XIV s’est retrouvé nez à nez avec un visiteur un peu distrait, peut-être un peu myope aussi, qui ne l’a pas reconnu, et lui a demandé son chemin car il s’était perdu ; le Roi lui a répondu très aimablement, comme il savait le faire. Louis XIV est toujours accessible. Tous ses sujets ont la possibilité de lui remettre lors de son passage dans la galerie des Glaces un placet que le Roi confie à l’un de ses secrétaires d’Etat. Cette procédure permet au Roi d’être pour chacun de ses sujets une sorte de Providence à laquelle il est toujours permis de faire appel pour obtenir justice. Chroniqueurs et mémorialistes soulignent l’exquise courtoisie du Roi, notamment avec les femmes, qu’il salue, avec plus ou moins de déférence, selon leur rang, ôtant son chapeau pour une duchesse, y posant seulement la main pour une servante.

Cette familiarité marque bien le caractère paternel de la royauté : « … C’est une égalité de justice entre lui et eux, qui les tient pour ainsi dire dans une société douce et honnête, nonobstant la différence presque infinie de la naissance, du rang et du pouvoir. Que cette méthode soit pour nous bonne et utile, l’expérience l’a déjà montré. […] Cette société de plaisir qui donne aux personnes de la Cour une honnête familiarité avec nous, les touche et les charme plus qu’on ne peut dire. Les peuples, d’un autre côté, se plaisent aux spectacles où, au fond, on a toujours pour but de leur plaire ; et tous nos sujets, en général, sont ravis de voir que nous aimons ce qu’ils aiment. […] Par là, nous tenons leur esprit et leur cœur, quelquefois plus fortement peut-être, que par les récompenses et les bienfaits ; et à l’égard des étrangers, dans un Etat qu’ils voient florissant et bien réglé, ce qui se consume en ces dépenses qui peuvent passer pour superflues, fait sur eux une impression très avantageuse de magnificence, de puissance, de richesse et de grandeur […] et fait juger avantageusement, par ce qu’on voit, de ce qu’on ne voit pas. »

Versailles permet au Roi d’attirer les plus grands artistes et de donner aux artisans des défis à relever. Tout le génie français est concentré là, appelé à donner le meilleur de lui-même ; des ébénistes aux peintres, des jardiniers aux sculpteurs, sans parler des orfèvres… Il s’agit de montrer la puissance de la monarchie française, d’impressionner certains de ses voisins comme les Provinces-Unies. Ainsi, le mobilier de la galerie des glaces, véritable chef d’œuvre d’orfèvrerie, est en argent massif, soulignant aux yeux des ambassadeurs étrangers la richesse du royaume.  

Versailles est la vitrine de la monarchie. Si le Roi a le souci de gouverner par les arts, il exprime là son goût pour les arts. Louis XIV aime l’art pour lui-même. A côté des grandes œuvres de commande qui ont pour rôle d’exalter l’autorité du roi et la puissance de la monarchie, à l’instar de la voûte de la galerie des glaces, le Roi commande parfois aux artistes des œuvres dépourvues de message politique. Ainsi Louis XIV manifeste à Molière son amitié et lui permet de faire représenter devant toute la Cour des pièces comiques qui dressent de la société un tableau satirique. L’amitié de Louis XIV pour Molière témoigne de son goût pour la littérature et le théâtre. De même, les tableaux choisis pour orner la chambre du Roi n’expriment aucun message politique. Ils traduisent le goût artistique de Louis XIV. L’intérêt du Roi pour la création artistique est si grand qu’il aime à regarder les peintres et les musiciens travailler.

Le sens artistique de Louis XIV s’exprimer également dans l’esthétisme qui nourrit la vie de la Cour et dans le règlement qui en fixe la discipline, l’Etiquette.

L’étiquette est un instrument de gouvernement. Elle est le reflet symbolique de la constitution du royaume. Le protocole symbolise la place et le rôle de chacun au sein de la monarchie. Si Louis XIV a porté l’Etiquette à son apogée, il n’en est pas l’inventeur. Dès 1549, Henri II avait chargé un greffier de rédiger un traité sur les rangs au sein de la monarchie afin d’éviter les contestations qui ne manquaient jamais de survenir à chaque Lit de justice, à chaque Entrée royale. Quelques décennies plus tard, en 1578 et en 1585, Henri III a instauré l’Etiquette, faisant grincer quelques dents au sein d’une noblesse habituée à s’adresser au Roi avec davantage de familiarité.

3- La Religion

Sous Louis XIV, cette étiquette est l’expression d’une véritable « liturgie royale », réglant avec minutie la vie du Roi. Saint Simon écrit qu’il suffisait d’avoir une montre pour savoir avec précision, lorsque l’on était à trois cents lieues de la Cour, ce que faisait le Roi. Cette liturgie royale participe de cette théorie du droit divin élaborée par des juristes comme Pierre de Belloy à la fin des guerres de religion pour mettre le Roi hors de portée des poignards, hors de toute contestation. De cette théorie, Bossuet donne la définition la plus aboutie : « Vous êtes des dieux, encore que vous mouriez, et votre autorité ne meurt pas : cet esprit de royauté passe tout entier à vos successeurs, et imprime partout la même crainte, le même respect, la même vénération. L’homme meurt, il est vrai ; mais le Roi, disons-nous, ne meurt jamais : l’image de Dieu est immortelle ». Image de Dieu, le Roi n’en a que plus de devoirs. La théorie du droit divin porte une conception très exigeante de la royauté, une royauté fondée sur la justice et miséricorde, comme le rappelle Bossuet dans son serment sur les devoirs de la royauté prononcé à St Germain l’Auxerrois à la fin du Carême de l’année 1662 : « La justice, c’est la véritable vertu des monarques et l’unique appui de la majesté ». Cette justice place le Roi au service de Dieu : « Pourquoi commandent les hommes si ce n’est pour faire que Dieu soit obéi ? » relève Bossuet dans l’oraison funèbre qu’il prononce à la mort de Madame. « Servez le Seigneur », enjoint-il à Louis XIV. Pour Bossuet, Louis XIV doit régner comme Dieu régnerait. Idéal très élevé auquel il est difficile de se conformer pleinement. Las, les courtisans sont plus terre-à-terre. L’application qu’ils font de cette théorie manque parfois de nuance. L’ambition les pousse à grossir le trait. Le droit divin peut confiner chez certains d’entre eux à l’idolâtrie. Redoutable danger pour le Roi ! Le Roi s’expose à être, dans ce « temple de la liturgie royale », prisonnier de sa Cour. Si Louis XIV conserve la maîtrise du jeu, ce ne sera pas le cas de ses successeurs.

Bossuet nous le rappelle : Louis XIV est, avant tout, le roi très chrétien. A sa mort, le nonce apostolique ; Mgr Bentivoglio a dressé de lui un portrait tout à fait élogieux : « En lui se sont vues réunies toutes les vertus royales et chrétiennes, et, à la réserve de ces légèretés de jeunesse dont ne sont exempts que ceux qui, par une merveilleuse disposition de la Providence, sont appelés à la sainteté dès le berceau, on ne trouve en lui rien à reprendre. En lui, grande majesté et grande affabilité : il commandait aux hommes sans oublier qu’il était homme, il avait le talent de gagner l’âme de tous ceux qui avaient l’honneur de l’approcher. En lui, grande piété et grande justice, un excellent et prompt discernement du vrai et du faux, modération dans la bonne fortune et fermeté dans l’adversité, non moins capable dans les arts militaires que dans les civils. Au milieu des désordres de la guerre, il a fait fleurir l’ordre d’un bon gouvernement et étendu les sciences et les arts dans tout le royaume, grande rapidité à débrouiller les affaires les plus compliquées, grand talent à prendre le meilleur patri et résolution pour l’exécuter, toutes choses dignes de former le parfait modèle d’un grand roi, à quoi, ajoutant sa constance dans la vraie religion, qu’il est mort en confessant, […] nous donn[ant] l’idée d’un saint roi ».

Trente ans plus tôt, dans les années 1680, le prédécesseur de Mgr Bentivoglio, le cardinal Ranuzzi n’aurait pas manqué de se montrer plus nuancé ; les relations entre Versailles et le Saint Siège étaient alors très tendues à cause du conflit de la régale.

En 1715, l’assemblée de 1682 est loin. Louis XIV est alors un Roi pleinement converti, qui a rompu depuis longtemps avec les errements de sa jeunesse. Certes, même dans sa jeunesse, Louis XIV a toujours eu le souci de servir la religion. Malgré un appétit de jouissance qui suscite l’incompréhension de la vieille Cour et de la reine-mère, Louis XIV n’a jamais approuvé les excès de certains de ses courtisans. Saint Simon n’a pas manqué de noter le respect que le Roi a toujours témoigné à la religion : « Louis XIV fut religieux aussi. Et ce qui serait incroyable si les témoins n’en étaient infinis, il le fut jusque dans ses plus grands désordres. Et fidèle à tout l’extérieur de la religion, ennemi sérieux de ceux qui ne la respectaient pas, et dans un pénible combat entre le scandale de ne point faire de Pâques et le sacrilège de les faire indignement. Exact depuis à s’approcher des sacrements et des exercices de religion avec une décence et un respect qui imposait à tous et à tenir la main à ceux qu’il fut rendu par tous ». Le témoignage des nonces apostoliques permet de mesurer, grâce aux confidences recueillies par eux de la bouche du confesseur du Roi, le P. La Chaise, les circonstances de cette conversion. Ainsi en 1683, le confesseur assurait que les dispositions du Roi avaient beaucoup changées depuis quelque temps, relevant que le Roi, désormais, se confessait plusieurs fois par an, qu’il communiait aux grandes fêtes, qu’il faisait oraison tous les jours, ce qui n’était pas le cas auparavant. La majorité des historiens font habituellement dater cette conversion du mariage morganatique de Louis XIV avec Madame de Maintenon. Peut-être confondent-ils la cause et la conséquence. Il est fort probable en effet que cette conversion soit antérieure à ce mariage, si l’on se fie au témoignage du P. Lachaise. Soulevant une On peut hypothèse : cette conversion pourrait bien être la conséquence de la déplorable affaire des poisons qui avait désagréablement marqué le Roi.

L’affaire des Poisons fut un scandale retentissant. Elle avait commencé avec les aventures de la marquise de Brinvilliers. L’enquête avait permis de révéler des pratiques très inquiétantes. Le Roi avait appris que de hautes personnalités de la cour étaient impliquées. Madame de Montespan était éclaboussé ; elle aurait participé à des messes noires dans l’espoir de conserver son emprise sur l’esprit d’un roi qui lui échappait de plus en plus. Voilà à quels comportements déréglés et dangereux pouvait conduire l’ambition de plaire au Roi. Louis XIV écarte Madame de Montespan ; et sans doute mesura la responsabilité indirecte qui était la sienne dans cette affaire. Ce retour sur lui-même a probablement été la première étape de la conversion du Roi.

Lorsque le nonce constate les changements qui s’opèrent dans la vie spirituelle du monarque, en 1683, les relations entre le Saint Siège et Versailles ne sont pas bonnes. Trois crises ont perturbé les relations entre le Saint Siège et Versailles. La première est l’affaire de la garde corse, la deuxième, l’affaire de la Régale, qui mettait en cause les libertés de l’Eglise gallicane, et la troisième, l’affaire du Quartier, qui fut sans doute la plus grave. Selon un usage, qui était une usurpation, chaque ambassadeur à Rome faisait lui-même « la police » non seulement dans  son ambassade mais aussi dans tout le quartier qui entourait l’ambassade, ce qui conduisait à soustraire ce quartier à la souveraineté pontificale. En France, on n’avait pas manqué de faire de cet usage l’une des innombrables libertés de l’Eglise gallicane. Le pape Innocent XI voulut mettre fin à cet abus. Le roi de France ne voulut pas céder. Le pape refusa alors de recevoir son ambassadeur et menaça l’excommunication ceux qui empiétaient ainsi sur la souveraineté pontificale. Le Roi refusa dès lors de recevoir le nonce à Versailles, ce qui présentait un avantage concret pour le Roi : la bulle d’excommunication ne pouvait pas lui être signifiée. Cette querelle ne se termina qu’à la mort d’Innocent XI, le Roi finissant par céder.

Avec les années, le Roi vieillissant devient dévot. Le Roi de Gloire s’efface peu-à-peu devant le Très-Chrétien. En devenant dévot, il devient désireux d’établir la paix à l’extérieur et à l’intérieur de soulager ses peuples. Il se montre également soucieux d’extirper l’hérésie de son royaume en application de l’engagement qu’il avait pris lors de son sacre en 1654. En 1685, il a révoqué l’édit de Nantes qui reconnaissait la liberté de culte des protestants. Assurément, la méthode des dragonnades tranche avec la doctrine de l’Eglise et la politique traditionnelle de la monarchie, celle menée par L’Hospital, par Henri III, par Henri IV et par Richelieu. L’Eglise et la royauté ont toujours affirmé que la conversion des hérétiques et des infidèles devait être obtenue par la raison, par la persuasion et par l’exemple, et non par la contrainte. Cependant, cette méthode ne suscite alors que peu de critiques. Le duc de Saint-Simon est l’un des rares qui s’en offusque, sentant bien que cette politique est moins nécessaire à la religion qu’à l’Etat. Louis XIV a également lutté contre le jansénisme, notamment en faisant de la bulle Unigenitus qu’il avait sollicité du Pape une constitution du royaume. Et, là encore, le duc de Saint-Simon est bien isolé lorsqu’il se scandalise de la brutalité inouïe avec laquelle fut détruit Port-Royal-des-Champs. Cependant, la monarchie paiera ces excès tout au long du XVIIIe siècle.

II- Gouverner

Louis XIV eut dès le début de son règne personnel le souci de restaurer l’autorité de l’Etat. Il y a alors en France une aspiration puissante à la paix et à la tranquillité publique. Les Français sont traumatisés par le souvenir des guerres de religion. Au cours du XVIIe siècle, des troubles intermittentes, notamment pendant la Fronde, ont renforcé cette aspiration à la paix. Tous ont la conviction profonde que la paix ne peut régner dans le royaume que si l’autorité royale est obéie. Le thème de l’obéissance domine la pensée politique du XVIIe siècle.

Louis XIV dresse lui-même un constat très sévère de la situation du royaume au commencement de son règne, ce qui montre qu’il était loin d’approuver tout ce qu’avait fait le cardinal Mazarin : « Il faut se représenter l’état des choses : des agitations terribles par tout le royaume avant et après la majorité ; une guerre étrangère où ces troubles domestiques avaient fait perdre à la France mille et mille avantages ; un prince de mon sang et d’un très grand nom à la tête des ennemis ; beaucoup de cabales dans l’Etat ; les parlements encore en possession et en goût d’une autorité usurpée ; dans ma cour, très peu de fidélité sans intérêt, et par là mes sujets en apparence les plus soumis autant à la charge et autant à redouter pour moi que les plus rebelles ; un ministre rétabli malgré tant de factions ; très habile, très adroit, qui m’aimait et que j’aimais ; qui m’avait rendu de grands services, mais dont les pensées et les manières étaient naturellement très différentes des miennes ; que je ne pouvais toutefois contredire ni lui ôter la moindre partie de son crédit sans exciter peut être de nouveau contre lui, par cette image quoique fausse de disgrâce, les mêmes orages qu’on avait eu tant de peine à calmer. […] Je commençais à jeter les yeux sur toutes les diverses parties de l’Etat, […]. Le désordre régnait partout ».

Le désordre régnait partout. Le Roi va s’employer à rétablir l’ordre partout. Il prendre les choses en main. « J’aurai d’autres principes dans le gouvernement de mon état, dans la régie de mes finances et dans les négociations au dehors que n’avait feu Monsieur le Cardinal ». En premier lieu, le Roi décide de ne pas prendre de Premier Ministre. Il rompt avec l’habitude inaugurée par son père en 1624 lorsqu’il s’était choisi pour principal ministre le Cardinal de Richelieu. Louis XIV sera son propre premier ministre. En deuxième lieu, il réorganise les conseils de gouvernement, leur donnant l’aspect qu’ils conserveront jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Au sein du conseil d’en Haut où se discutent les grandes affaires, peu de ministres. En 1661, ils ne sont que trois : Fouquet, Lionne et Le Tellier. Les conseillers-nés sont écartés du conseil d’en Haut. C’est une grande nouveauté. La Reine-mère n’est pas priée. Monsieur, frère du Roi, n’y mettra jamais les pieds. Les grands seigneurs n’y entreront que s’ils y sont invités, ce qui sera le cas du duc de Beauvilliers, président du conseil royal des finances, à partir des années 1690. Autrefois, le chancelier siégeait dans tous les conseils. Désormais, il n’appartient plus automatiquement au conseil d’en haut.  

Il faut également mentionner le conseil des dépêches au sein duquel siègent le Chancelier et tous les secrétaires d’Etat. Monsieur y est appelé. Réuni deux fois par semaine, il s’occupe de la correspondance avec les intendants, c’est-à-dire des affaires du dedans du royaume. Il existe en outre un conseil royal des finances, réuni deux fois par mois, et le conseil des Parties, Finances et Direction, que préside le Chancelier, conseil qui s’occupe de la justice et du contentieux administratif.

Pour gouverner, Louis XIV s’appuie sur des intendants, qui sont des commissaires révocables ad nutum. Nommés pour une mission précise, ils sont révocables dès qu’ils ne donnent  plus satisfaction, à l’inverse des officiers qui sont propriétaires de leurs charges et jouissent dès lors d’une grande indépendance.

Avec les conseils et les intendants, nous assistons à une réorganisation rationnelle, cartésienne, de la monarchie, réorganisation qui modifie les équilibres traditionnelles de la royauté car elle méconnaît le rôle des conseillers-nés et des corps intermédiaires, provinces, bonnes villes et corporations.

Puis, le Roi s’emploie à réformer les finances. Les finances sont dans un désordre terrible. Les caisses sont vides. Louis XIV reprend les choses en main, avec l’aide intéressé de Colbert, que lui a recommandé Mazarin. Colbert avait été l’intendant de Mazarin, lequel était mort avec une fortune s’élevant à plus de quarante millions (ce qui représente presque la moitié du budget de l’Etat). Pour éviter d’être compromis dans les malversations du défunt Cardinal et pour se rendre indispensable au Roi, Colbert offre au Roi de récupérer une partie du trésor de Mazarin, une quinzaine de millions dont il était le seul désormais à connaître l’existence. C’était là une fortune, d’autant plus précieuse que les caisses du trésor étaient vides. Or Colbert aspire également à devenir surintendant des finances, fonction alors occupée par Nicolas Fouquet.

Celui-ci a laissé à l’Histoire l’image d’un ministre qui s’était enrichi au détriment de l’Etat. La réalité est un peu différente. Fouquet n’a pas été un mauvais ministre. Formé par Richelieu, il a notamment encouragé le commerce et la marine, politique que Colbert poursuivra, détournant à son profit les actions profitables entreprises par son prédécesseur. Sans doute Fouquet manque-t-il de rigueur dans l’administration des finances. Les caisses sont toujours vides. Et pourtant Fouquet réussit toujours à procurer au Roi l’argent dont le royaume a besoin, usant à chaque fois d’expédients baroques. Il est possible que Fouquet se soit un peu enrichi au détriment de l’Etat. Cependant, il ne s’est plus enrichi que les autres ministres des finances de l’époque. Lors de son procès, il était même très endetté, preuve de son manque de rigueur et de son relatif désintéressement. Les maladresses qu’il multiplie au cours de l’année 1661 attestent d’une certaine forme d’honnêteté. Un homme dangereux et nocif aurait été moins maladroit. Entre mars et septembre 1661, Colbert a soigneusement ruiné le crédit de Fouquet dans l’esprit du Roi. Reste un obstacle pour l’ancien intendant de Mazarin : Fouquet est également procureur général du Parlement de Paris, ce qui offre une immunité. On s’arrange pour le convaincre de vendre sa charge. En se défaisant de cette charge, Fouquet perdait de son immunité. Il était désormais sans cuirasse. Le 5 septembre 1661, Fouquet est arrêté à Nantes par le Capitaine d’Artagnan, conduit au château d’Angers, et de là à Paris pour y être jugé. Le procès de Fouquet n’est pas à l’honneur de Colbert. Fouquet a servi d’exemple. Il fallait remettre de l’ordre dans les finances. Une commission fut crée pour juger les financiers, ces « fermiers de l’impôt » qui s’étaient enrichis depuis vingt ans. Colbert voulait que Fouquet soit condamné à mort. Epaulé par son oncle, le conseiller Pussort, il a exercé sur les juges de fortes pressions pour ce faire. En vain : Lamoignon et d’Ormesson ont tenu bon. Les magistrats du Parlement ont une tradition d’indépendance qui les rend davantage soucieux d’accomplir fidèlement leur devoir de justice que de complaire aux puissants du jour, quoiqu’ils puissent leur en coûter.

Le Roi s’emploie également à réformer la justice du royaume. Préparées par Colbert, discutées par le Conseil d’Etat et le Parlement de Paris, plusieurs grandes ordonnances de procédure judiciaire sont élaborées, ordonnance civile et ordonnance criminelle (1667 et 1670), suivies de l’ordonnance de commerce et de l’ordonnance de marine. Cette œuvre législative très importante survivra en partie à la Révolution et à l’Empire.

Dans le même temps, le Roi veilla à rétablir la sécurité dans Paris. Jusqu’au commencement du règne de Louis XIV, Paris était un coupe-gorge dans lequel il était très risqué de se promener la nuit. Les vols et les assassinats étaient nombreux. Les habitants se barricadaient chez eux sitôt le soleil couché. L’enchevêtrement des juridictions entravaient gravement l’action des magistrats du Roi. Les rivalités qui opposaient le Châtelet et l’Hôtel de Ville étaient aggravées par l’existence de nombreuses enclaves seigneuriales qui étaient autant de refuges pour les malandrins. Selon Marc Chassaigne, « le crime, commis à droite d’une rue, demeurait impuni si l’on passait à gauche. Des maisons chevauchaient sans vergogne ces frontières juridiques dont les malfaiteurs avisés n’avaient garde d’oublier la carte confuse et protectrice ». Le Roi indemnisa les détenteurs des justices seigneuriales et confia le soin de faire régner l’ordre à Paris à un magistrat unique, le lieutenant général de police. Le premier titulaire de cette fonction fut Nicolas de La Reynie, lequel commença par anéantir la cour de Miracles, véritable royaume de la pègre situé à proximité de la rue Saint-Denis. Se présentant à la tête d’une imposante force armée à l’entrée de cette principauté irrégulière, il menaça de la corde les douze derniers qui s’y trouveraient. La parole du commissaire du Roi thaumaturge fit miracle : soudain, les sourds entendirent, les aveugles virent, les paralysés retrouvèrent l’usage de leurs jambes, les éclopés se mirent à courir. En quelques instants, il n’y eut plus âme qui vive, dans l’enclos qui put alors être livré aux démolisseurs. Puis, il augmenta le guet, fit éclairer les rues de Paris la nuit, ce qui suffit à les rendre beaucoup plus sûres.

Cette remise en ordre du royaume n’alla pas sans quelques inconvénients. Les libertés des corps intermédiaires furent comprimées. En 1673, le Parlement perdit le droit de présenter au roi des remontrances avant l’enregistrement des lettres patentes. Dans de nombreuses provinces, les Etats ne furent plus convoqués. Là où ils subsistèrent, ils perdirent le droit de négocier le don gratuit. En échange d’une réelle modération fiscale, le Roi imposa que le don gratuit fût voté par acclamation, sans discussion : on ne négocie pas avec le souverain. A des fins fiscales, Colbert contraignit la noblesse à faire ses preuves. Nombre de petits hobereaux ne purent pas le faire : ils furent écartés de la noblesse. La noblesse perdit ainsi un tiers de ses effectifs. Ces vérifications affaiblirent le second ordre tout en soulignant avec netteté la frontière qui séparait noblesse et notables de la roture, alors que les incertitudes et les ambiguïtés qui existaient jusque là participaient à l’équilibre de la société. Cet affaiblissement des corps intermédiaires a sans doute durablement déséquilibré les institutions monarchiques.

III- Maintenir le rang de la France

Les efforts de Louis XIII et de Richelieu ont placé la France au premier rang des nations. Depuis Rocroi, la France a supplanté l’Espagne ; elle est la première puissance du Monde. Louis XIV a le souci de maintenir le rang de la France. Les relations internationales restent marquées par la rivalité qui oppose la France et l’Espagne, rivalité qui demeure entière malgré la paix des Pyrénées et le mariage de Louis XIV avec l’infante Marie-Thérèse. Louis XIV s’en explique dans ses Mémoires : « L’état des deux couronnes de France et d’Espagne est tel aujourd’hui, et depuis longtemps dans le monde, qu’on ne peut élever l’une sans abaisser l’autre. Cela fait entre elles une jalousie qui leur est, si je l’osais dire, essentielle, et une espèce d’inimitié permanente que les traités peuvent couvrir, mais qu’ils n’éteignent jamais, parce que le fondement en demeure toujours, et que l’une d’elles travaillant contre l’autre, ne croit pas tant nuire à autrui que se maintenir et se conserver soi-même, devoir si naturel qu’il emporte facilement tous les autres. ». Le règne personnel de Louis XIV commence par plusieurs querelles de préséance, très symboliques, qui visent à affirmer la place de la France au premier rang des nations.

La première de ces querelles éclata en Angleterre entre l’ambassadeur de France, le comte d’Estrades, et l’ambassadeur d’Espagne, le comte de Vatteville. Lors de l’arrivée à Londres de l’ambassadeur de Suède, nos deux ambassadeurs se disputèrent sur le point de savoir lequel passerait le premier. Déterminé à l’emporter, l’ambassadeur d’Espagne fait recruter, dans les bas-fonds de Londres, cinq cents personnes pour lui servir d’escorte. Les deux carrosses se retrouvent face-à-face. La confrontation se termine en bataille rangée. L’ambassadeur d’Espagne fait tirer au mousquet sur les chevaux de l’ambassadeur de France, ce qui lui permet d’emporter ce duel de préséances. Apprenant la nouvelle, Louis XIV prend des mesures de rétorsion et demande à son beau-père, le Roi Philippe IV de lui présenter des excuses. Philippe IV était un vieux roi. L’Espagne était épuisée par plusieurs banqueroutes successives. Il s’inclina devant son gendre. Dès lors, l’ambassadeur de France eut le pas sur tous les autres. Si le théâtre de cette querelle avait été Vienne et non Londres, le résultat aurait pu être moins favorable. C’est pourquoi, prudemment, Louis XIV se garda d’envoyer un ambassadeur en Autriche, n’y nomma qu’un envoyé extraordinaire ayant rang de chargé d’affaires.

De telles querelles de préséances permettent dès le début du règne au Roi de France de s’imposer face à l’Empereur. Elles lui permettent de s’imposer sur mer. Ainsi, lorsqu’un navire français croise le navire d’une autre principauté, le navire français sera désormais salué le premier.

La politique étrangère de Louis XIV a été marquée par quatre guerres. Leur étude serait trop longue ; je me contenterai donc d’évoquer la dernière, qui est la plus difficile, la plus intéressante et la plus décisive. La guerre entraînée par la Succession d’Espagne est l’aboutissement de savantes manœuvres diplomatiques qui ont occupé tout le règne de Louis XIV. Dès la mort de Philippe IV, en 1665, les chancelleries européennes s’intéressent de près à la succession d’Espagne. Pourquoi ? Le Roi d’Espagne règne sur un empire immense qui couvre, outre les Espagnes, les Indes occidentales (Pérou et Mexique), les Philippines, une partie de l’Italie (Sicile, Naples et Milanais) ainsi que la Flandre, le Brabant, le Hainaut et le Luxembourg. Or Philippe IV n’a laissé derrière lui qu’un jeune roi enfant, Charles II. Du fait de la politique matrimoniale un peu dangereuse menée par les Habsbourg d’Espagne depuis trois générations, Charles II n’est pas en très bonne santé. A deux reprises – Philippe II d’abord, Philippe IV ensuite – les princes ont épousé leur nièce. Les conséquences sont là. Les portraits de Charles II en témoignent. Charles II est bossu, difforme, impuissant. Sa santé est fragile. La mort le guette chaque hiver. Les ambassadeurs observent attentivement cet enfant dont les chancelleries attendent la mort à tout moment. Cette mort se fera attendre pendant trente-cinq ans, préparée par de savantes combinaisons diplomatiques entre la France, l’Empire et la Bavière qui lorgnent toutes les trois sur l’héritage. Dès l’hiver 1667-1668, alors que la France et l’Espagne sont en guerre à propos des droits de la reine Marie-Thérèse sur la succession de son défunt père, alors que les régiments français parcourent les Flandres et la Franche-Comté que Louis XIV espère annexer, les diplomates négocient à Vienne un partage de l’empire espagnol. Un traité est signé, précédé de précautions rhétoriques qui élèvent l’hypocrisie au rang d’œuvre d’art : «Quoiqu’il ne puisse rien arriver à leurs Majestés de plus triste ni de plus chagrinant, dans toute leur vie, que si le sérénissime roi catholique d’Espagne, leur bien-aimé parent et allié à l’un et à l’autre, venait à mourir d’une mort prématurée, sans laisser d’enfants nés en légitime mariage, ce dont la pensée seule les attriste infiniment, et quoiqu’ils soient dans la volonté de prier fortement la divine bonté de ne pas permettre que ce malheur arrive, néanmoins comme toutes les choses humaines sont incertaines et fragiles, qu’il est du devoir de leurs majestés plus que de tout autre de prévenir autant qu’il se peut et de bonne heure, les maux que causerait cette mort, et de prendre toutes les précautions nécessaires pour empêcher que le feu d’une nouvelle guerre, que produiraient les différentes prétentions sur une si grande succession, ne consume trop ardemment la chère postérité de l’une et de l’autre, pour ces raisons, après avoir longtemps et mûrement délibéré, et après avoir examiné l’état de l’Europe et le bien de la Chrétienté, il a été jugé nécessaire d’y apporter remède, et on n’en a pas trouvé de plus convenable et de plus excusable, à cause des bonnes fins auxquelles il tend, que si dès à présent il se faisait un partage éventuel de la succession pour le cas susdit de la mort, qu’on ne pourra jamais assez pleurer. C’est pourquoi, après avoir imploré l’assistance divine, on est convenu que, s’il arrive que sa sacrée majesté impériale et ses enfants, héritiers et successeurs, et sa majesté très chrétienne et ses enfants, héritiers et successeurs, survivent au sérénissime roi catholique des Espagnes, Charles, second du nom, mort sans enfants nés en légitime mariage, la division de tout l’héritage de la monarchie d’Espagne soit fait et exécuter dans ce cas de la manière suivante… » Ainsi commence le partage de l’empire espagnol : Naples, la Sicile et les Pays-Bas espagnols pour la France ; le Milanais pour l’Autriche ; les Philippines pour la France ; les Indes occidentales pour l’Autriche. Ce premier partage de l’Espagne en annonce d’autres. Il y en aura un deuxième en 1698, après la guerre de la Ligue d’Augsbourg, au profit de l’Electeur de Bavière, petit-fils de Philippe IV, puis un troisième, l’année suivante, après la mort de l’Electeur de Bavière. Averti de ces négociations, Charles II d’Espagne rédige un premier testament afin de conserver à l’empire espagnol son intégrité. Dans ce testement, il lègue tout son empire à la maison d’Autriche. Plus tard, sous l’influence du cardinal de Tolède, il se ravise et, en septembre 1700, rédige un second testament dans lequel il lègue tout son empire à son petit-neveu le duc d’Anjou, petit-fils du roi de France. Quelques semaines plus tard, à la Toussaint 1700, Charles II meurt. Le duc d’Anjou est son héritier universel.

Le conseil examina avec le soin s’il convenait d’accepter le testament de Charles II. Le conseil était divisé sur l’opportunité de cette acceptation : le chancelier de Pontchartrain y était favorable, Torcy et Beauvilliers, hostiles, redoutant, avec raison, le déclenchement d’une nouvelle guerre générale. Monseigneur fit pencher la balance en faveur de l’acceptation. Son intervention eut un poids particulier car l’acceptation du testament impliquait de renoncer au partage secret conclu quelques mois plus tôt entre la France, la Bavière et l’Autriche, partage qui devait faire du Grand Dauphin le prince souverain de la Sicile et de Naples. Louis XIV n’aurait jamais dépouillé son fils sans son accord. En insistant pour que le testament soit accepté, le Grand Dauphin renonçait au profit de son fils cadet aux avantages personnels que lui réservait le partage

« Il n’y a plus de Pyrénées » aurait dit Louis XIV en annonçant à la Cour que son petit-fils allait régner sur l’Espagne.

Ce bouleversement géopolitique renforçait considérablement la prépondérance française et ne pouvait dès lors que susciter l’inquiétude de l’Angleterre et des Provinces-Unies. L’Autriche, de son côté, se sentit lésée et s’empara sans crier gare du Milanais. Les antagonismes qui en résultèrent entraînèrent à l’automne 1701 le déclenchement de la guerre de Succession d’Espagne.

Ce fut la guerre la plus difficile du règne de Louis XIV. La France venait de sortir, quatre ans plus tôt, de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, très endettée. L’or des Indes espagnoles ne suffira pas à financer cette nouvelle guerre, même s’il permit à la France de soutenir jusqu’au bout l’effort nécessaire. Par ailleurs, Condé et Turenne n’étaient plus là pour conduire les armées du Roi de France alors même que l’Autriche pouvait compter sur le talent du Prince Eugène.

Ainsi, après deux années de victoires, la situation se dégrade et les défaites se succèdent. Vendôme perd l’Italie ; les Pays-Bas espagnols sont évacués. La frontière du royaume est menacée. Fréjus tombe. Lille tombe. Villeroy est vaincu à Ramillies le 23 mai 1706 ; Vendôme et Bourgogne le sont à Audenarde le 11 juillet 1708. Le royaume est menacé d’invasion. La Cour presse Louis XIV de se replier à Blois. C’est alors que le terrible Hiver de 1709 vient accabler le royaume.

Au cœur de ce petit âge glaciaire qui caractérise le règne de Louis XIV, avec des hivers rigoureux, des printemps et des automnes pluvieux, des étés frais et humides, l’hiver de 1709 tranche par sa violence. Le 6 janvier 1709, en quelques heures, le thermomètre chute de trente degrés, atteignant les 20° en dessous de 0. La vague de froid submerge le pays pendant trois semaines, n’épargnant que la Bretagne (à croire que le climat honore les privilèges dont dispose la province en application du traité d’union… Les fleuves et les rivières sont gelés ; le littoral est gelé. Les routes et les chemins sont impraticables. Il est impossible d’approvisionner les villes où le prix de pain augmente fortement. Un curé de la vallée de l’Eure raconte qu’il fallait, pour célébrer la messe, placer un réchaud à côté des burettes et un autre à côté du calice. A Versailles, les salons sont embrumés par le givre ; le vin gèle sur la table du Roi. Le froid tue les arbres fruitiers, les vignes et les semences … Au mois d’avril, après le dégel, aucune semence ne sort de terre. La famine s’annonce. Pour y remédier, Louis XIV commence par faire acheter du blé. Puis il est ordonné aux paysans de semer de l’orge. Cette idée de génie sauvera le royaume de la famine. Le froid n’avait pas seulement tué le bon grain, il avait également tué l’ivraie. La récolte d’orge fut magnifique. Le royaume échappa ainsi à la famine.

Après un tel hiver, au printemps 1709, Louis XIV estime qu’il ne peut en demander davantage à ses peuples. Il décide d’ouvrir les négociations et d’obtenir de ses ennemis la paix, quel qu’en soit le prix. Attisée par les Provinces-Unies, la coalition présente des exigences exorbitantes. Elle demande à Louis XIV de renoncer à toutes ses conquêtes, de renoncer aux conquêtes de ses prédécesseurs, de renoncer aux Trois-Evêchés annexés en 1559 par le traité de Cateau-Cambrésis. Pour soulager ses peuples, Louis XIV est prêt à tout accepter. Le voyant acculer, les Hollandais se montrent encore plus exigeants. Ils veulent que le Roi prenne la tête de la coalition qui ira déloger son petit-fils du trône d’Espagne. Le Roi ne peut accepter des conditions aussi déshonorantes. Il préfère faire la guerre à ses ennemis plutôt qu’à ses enfants. Le vieux Roi se tourne alors vers ses peuples épuisés. Une déclaration est lue en chaire dans toutes les paroisses de France le 12 juin 1709. L’appel du 12 juin : « Plus j’ai témoigné de facilité et d’envie de dissiper les ombrages que mes ennemis affectent de conserver de ma puissance et de mes desseins, plus ils ont multiplié leurs prétentions » « Je passe sous silence les insinuations qu’ils m’ont faites de joindre les forces à celles de la ligue, et de contraindre le roi mon petit-fils à descendre du trône […] Il est contre l’humanité de croire qu’ils aient seulement eu la pensée de m’engager à former avec eux une pareille alliance ». Et le vieux Roi d’espérer que les Français rejetteront avec lui « des conditions également contraires à la justice et à l’honneur du nom français ». L’appel est entendu. Tournai résiste admirablement. Noailles est victorieux en Catalogne, Dillon sauve le Briançonnais. Le 11 septembre 1709, sous la conduite de Villars, la noblesse française se sacrifie à Malplaquet afin de contenir la progression des troupes anglo-hollandaises de Marlborough. Trente mille morts, dix mille Français, vingt mille coalisés. C’est le commencement du redressement. En Espagne, le Maréchal de Vendôme sauve le trône de Philippe V à Villaviciosa les 9 et 10 décembre 1710. Sur mer, Duguay-Trouin s’empare de Rio de Janeiro en septembre 1711, ramenant en France une rançon colossale. Alors que les négociations reprennent, le Roi confie sa dernière année au Maréchal de Villars, lui tenant à peu près ce langage : « Monsieur le Maréchal, vous allez livrer bataille. La Cour me presse de me retirer à Blois. Si vous perdez, je revendique l’honneur de servir sous vos ordres comme le plus soldat de France et d’y mourir ». Le 24 juillet 1712, le Maréchal de Villars remporte la bataille de Denain, conjurant définitivement le danger d’une invasion du royaume. Dans les semaines qui suivent, plusieurs villes du Nord de la France sont reconquises.  

La France peut désormais négocier dans de bonnes conditions. Les traités d’Utrecht et de Rastadt seront des traités honorables. La France a atteint ses objectifs de guerre : Philippe V règne sur Madrid et conserve les Indes et les Philippines. Certes, l’Espagne perd ses possessions italiennes, milanaises et flamandes. La France cède l’Acadie et Terre-Neuve à l’Angleterre. Cependant, la présence d’un Bourbon à Madrid est un bouleversement géopolitique majeur. Le vieil antagonisme entre la Maison de France et la Maison d’Autriche n’a plus de raison d’être : la France n’est plus encerclée par les possessions des Habsbourgs.

La France peut dès lors envisager un rapprochement avec l’Autriche, ce qui permettrait d’établir une union des puissances catholiques, France, Espagne, Autriche et Bavière. Désormais, pour la France, l’adversaire est l’Angleterre, puissance protestante et parlementaire la politique est tributaire des intérêts commerciaux des financiers de la City. Ce retournement des alliances, louis XIV le prépare activement à la fin de son règne. En janvier 1715, le comte du Luc est nommé ambassadeur à Vienne. Ses instructions sont très précises : « Le caractère d’ambassadeur que le Roi donne pour la première fois de son règne au ministre que S.M. destiné à résider auprès de l’Empereur et la résolution que ce prince a prise d’envoyer réciproquement auprès d’elle un ministre revêtu du même titre, sont les premières marques et le premier effet des heureuses dispositions qu’il y a de part et d’autre à former entre la maison de France et celle d’Autriche une union aussi avantageuse à leurs intérêts qu’elle sera nécessaire au maintien du repos général de l’Europe. […] Jamais il ne s’est trouvé de conjoncture où les desseins du Roi et les intérêts de l’Empereur aient été aussi conformes qu’ils le sont aujourd’hui. Le Roi désire le maintien de la paix pour le soulagement de ses peuples, pour le bien de sa maison royale et pour sa propre tranquillité […] Quoique ce prince [l’empereur] ait peine encore à se détacher de ses vues sur l’Espagne, il paraît cependant qu’il comprend l’utilité dont il lui sera d’entretenir une bonne intelligence avec le Roi. On ne peut regarder comme simple compliment la manière dont le prince Eugène s’en est expliqué au maréchal de Villars, soit à Rastadt, soit à Bade.[…] Il a répété plus d’une fois que l’Empereur n’avait rien de mieux à faire pour lui-même et pour les intérêts de la religion, que de s’unir étroitement avec le Roi ; que l’état des affaires de l’Europe étant changé, nulle raison ne devait plus s’opposer à cette union nouvelle, si conforme au bien véritable de la maison de France et de celle d’Autriche »

Retardé par la mort de Louis XIV et par la guerre de Succession de Pologne, ce rapprochement se concrétisera en 1755 grâce à l’alliance conclu entre Louis XV et Marie-Thérèse.

Au cours des années les plus difficiles de la guerre de Succession d’Espagne, Louis XIV fut non seulement éprouvé par des difficultés politiques et financières inouïes mais aussi par les deuils qui frappèrent sa Maison.

Le prince de Conti fut le premier mort. En avril 1711, le Dauphin mourut. En février 1712, ce fut le tour, en quelques jours, de la Dauphine, du Dauphin-Bourgogne et de leur fils aîné, le duc de Bretagne. On porta les trois corps le même jour à Saint-Denis. Le petit duc d’Anjou, nouveau dauphin,  lui-même gravement malade, fut sauvé de l’acharnement des médecins par sa gouvernante, Mme de Ventadour qui leur interdit l’accès de sa chambre. Deux ans plus tard, le duc de Berry, petit-fils du Roi, mourut à son tour d’une chute de cheval.

Face à de tels malheurs, Louis XIV fit preuve d’une grandeur d’âme et d’un courage exceptionnel, courage auquel le duc de Saint-Simon dans ses Mémoires rend hommage. : « Au milieu de ses fers domestiques, cette constance, cette fermeté d’âme, cette égalité extérieures, ce soin toujours le même de tenir tant qu’il pouvait le timon, cette espérance contre toute espérance, par courage, par sagesse non par aveuglement, ces dehors du même Roi en toutes choses, c’est ce dont peu d’hommes auraient été capables, c’est ce qui aurait pu lui mériter le nom de grand, qui lui avait été si prématuré ; ce fut aussi ce qui lui acquis la véritable admiration de toute l’Europe, celle de ceux de ses sujets qui en furent témoins et ce qui lui ramena tant de cœurs qu’un règne si long et si dur lui avait aliénés. Il sut s’humilier en secret sous la main de Dieu, en reconnaître la Justice, en implorer la Miséricorde, sans avilir aux yeux des hommes sa personne, ni sa couronne ».

Louis XIV tient le timon de l’Etat jusqu’au dernier jour ou presque. Au cours de l’été 1715 il reçoit l’ambassadeur d’Angleterre mécontent : en vertu du traité d’Utrecht, la France s’était engagée à démolir la forteresse de Dunkerque ; Dunkerque était en cours de démolition mais de nouvelles fortifications étaient au même moment dressées à peu de distance de là, au grand dam de l’Angleterre. L’ambassadeur Lord Stair. Le vieux Roi appuyé sur sa canne lui avait adressé cet avertissement plein de panache : « Monsieur l’ambassadeur, je suis ici chez moi et je vous conseillerais de ne pas me faire souvenir que je l’ai été parfois chez les autres ».

Le Roi était alors souffrant. Une méchante sciatique, croyait-on. En réalité, il s’agissait de la gangrène qui devait l’emporter, au terme de grandes souffrances, le 1er septembre 1715. Mort édifiante. Mort spectaculaire. La mort que devait avoir un Roi Très Chrétien. Dans ses derniers instants, parfaitement maître de lui, Louis XIV se montre soucieux d’imiter son père Louis XIII en toutes choses, jusque dans les dispositions qu’il prend pour ses funérailles, ce qui ne pouvait que forcer l’admiration du duc de Saint-Simon aux yeux duquel Louis XIII est le modèle du bon Roi : « Il est certain que ce monarque vit et goûta la mort avec autant de fermeté, d’égalité, de soumission à Dieu, de dignité, de tranquillité extérieure, vraie, simple, naturelle, qu’il avait soutenu les malheurs des dernières années de la guerre dernière. On vient de voir avec quelle force et quelle simplicité il donna ses ordres sur tout ce qui devait accompagner sa mort, comme il consola ses valets qui le pleuraient ; la douce majesté de ses adieux aux princes et princesses du sang, à qui en peu de mots si pleins de justesse et de précision, il recommanda l’union ; et ceux pleins de bonté et d’une dignité qui eut même quelque chose de tendre, avec lesquels il congédia ceux de sa cour qui entraient dans sa chambre dans ses derniers jours ; toutes ces actions et toutes ces paroles courtes, mesurées, et dans son idée purement nécessaires et toujours conformes à lui-même, toujours prévoyantes, sans appareil, toujours simples et tranquilles, qui marquaient la paix de son âme que rien ne troubla, que rien n’empêcha de se posséder. Nulle sorte d’impatience de son mal, nul empressement de remède, nulle question sur son état; soumission et abandon entre les mains de Dieu, indifférence parfaite de guérir et de mourir ; rien d’affecté, toujours lui-même ; une piété pleine d’espérance et de confiance en la miséricorde de Dieu ; un regret marqué plus d’une fois de ne pas souffrir, ce qu’il eût désiré pour en faire un sacrifice utile à l’expiation de ses péchés. En prière continuelle jour et nuit dés qu’on s’éloignait de son lit, mais douce et paisible, enfin un détachement entier jusque-là qu’il lui échappa de dire « quand j’étais roi » ; et parlant du Dauphin de la nommer « le Roi ».

Cette grandeur devant laquelle s’incline Saint-Simon, cette grandeur que relève le Nonce Apostolique, cette grandeur qu’admirent tous les témoins de cette mort exemplaire, cette grandeur est celle du plus grand Roi de l’univers qui s’humilie devant le Roi des Rois, qui se soumet à Sa volonté, qui, dans son agonie abdique sa propre grandeur entre les mains de Dieu. Ce à quoi fera écho dans son oraison funèbre Massillon, prononçant l’éloge du grand Roi en commençant par ces mots : « Dieu seul est grand mes frères, Dieu seul est grand ».

Applaudissements (30 secondes)

Remerciements de Monseigneur le Prieur Général

Gloria Patri,

 

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