Conférence de M. le Doyen André Clément

 

Maurras ou le secret du Roi

 

Introduction ou Proème

Comme toute vie, la vie de Charles Maurras est un mystère.

Journaliste politique, essayiste et critique littéraire, félibre, polémiste, homme d’influence mais aux interrogations métaphysiques et spirituelles ininterrompues, voyageur, travailleur infatigable, poète et ami hors du commun, fils attentionné et défenseur de l’Église, condamné par elle puis réhabilité, défenseur de la Patrie, condamné par elle et pas encore réhabilité, Maurras a été… tout cela !

 Dieu seul, à vrai dire, pourra nous donner la lumière qui manque à notre discernement, à notre regard, toujours incertain, de l’invisible.

Son rôle, sa place, sa mission – oserais-je le mot de vocation ? – sont sans équivalent au cours du xxe siècle. Le relief de chaque phase de sa vie a donné lieu à des études : les unes fort belles, d’autres bien imparfaites ou peu sérieuses, quelques-unes entachées de contresens… accidentels ou essentiels. Des fidélités bouleversantes, et jusqu’au sacrifice suprême ; des trahisons étranges et jusqu’au reniement ; des sommets de gloire, rarement atteints par un simple mortel ; des profondeurs d’affliction dépassant parfois les limites du supportable : Maurras a connu et vécu tout cela.

De la relative modestie des origines, marqués dès l’adolescence d’une double surdité (physique et spirituelle) qui sera comme un aiguillon mordant et douloureux du quotidien, jusqu’aux sommets de l’intelligence exprimés tant en poésie qu’en littérature ou en politique.

Le signe de contradiction semblait tisser l’étoffe d’une vie exceptionnelle. Le tramage en fut une succession d’événements historiques d’une rare concentration où se retrouvaient l’Église, les États et leurs gouvernements, les passions des hommes dans la paix, leur folie dans la guerre… dans une guerre multiforme dont certains aspects ne s’éteindront qu’à la mort de Maurras.

Son amour passionné, exclusif… jaloux de la France, du bien commun, de l’ordre, tout cela régi par une autorité monarchiquement organisée fut l’étoffe dans laquelle la Providence allait tailler un destin démesuré, à vues humaines bien difficile à cerner – en fait le plus souvent incompris, ici des meilleurs, … là des autres !

Sa bouleversante conversion fut comme l’aboutissement normal d’une soif inextinguible sur fond d’une belle piété filiale [1] à laquelle le Seigneur – par Marie qu’il pria toujours en secret – en quelque sorte « forcé » par sa loyauté en forme d’épée, ne « pouvait » pas ne pas répondre.

Pour tenter quelque juste approche, je vous propose de suivre la chronologie. Dans la vie de Maurras, elle est tout sauf un banal enchaînement de dates ! Elle est, par l’histoire, la trame très fine de l’Écriture divine qui se révèle progressivement à la chaleur de l’amour lorsque la croix rappelle l’œuvre de Rédemption.

Trois périodes sculptent la vie de Maurras :

La première

Avant la guerre de 1914.

Né en 1868, sa prime enfance s’est déroulée dans les brumes de la défaite de 1870, la chute de Napoléon III, l’échec du comte de Chambord puis l’avènement de la république au laïcisme agressif, anticlérical croissant. Son premier drame fut celui même de l’affaire Dreyfus, qui l’amena à prendre la défense de l’armée française.

La reconquête de l’Alsace et de la Lorraine était dans les esprits comme dans les chansons, et l’antigermanisme – qui l’habita toute sa vie – en était le moteur quotidien.

La deuxième

2) De la guerre de 1914-1918 à celle de 1939-1945.

Ce fut la grande période politique de Maurras, par la place prépondérante prise dans la cité et même en Europe par le mouvement et le journal quotidien : l’Action française (créée en 1909). Puis ce fut la crise, ô combien douloureuse, de la condamnation par Rome en 1926, et la joie de la levée de cette condamnation, treize ans plus tard, en la fête de Notre-Dame du Mont-Carmel.

La troisième

 3) La troisième étape de sa vie – de 1945 à 1952 – fut celle de la croix et de la rédemption (préparée, certes, par les épreuves antérieures filialement acceptées). Lui qui aimait la France avec une ardeur jamais démentie fut condamné pour intelligence avec l’ennemi nazi ainsi que pour l’espérance légitime qu’il avait mise dans celui que, monarchiste impénitent, il appelait le « Maréchal Régent », chef de l’État français sous l’Occupation.

Dans les souffrances, humiliations et injustices des prisons où il fut jeté, la Providence a progressivement répondu à l’appel tacite de toute sa vie. Sourd depuis l’enfance et agnostique « coriace [2] », il aura ce mot inouï lorsque, à sa demande expresse, le chanoine Cormier, à la clinique Saint-Symphorien de Tours, lui apportera le viatique du sacrement de l’Église :

« Pour la première fois, j’entends

Quelqu’un qui vient ! »

 

Voilà planté le décor historique de sa vie.

Essayons de retracer, de l’intérieur, un peu de l’essentiel d’une vie qui, comme toute vie, ne peut être que le secret du Roi.

X

Lorsqu’on parle « pays d’origine », premier sens du mot Patrie, Maurras l’avoue, c’est Martigues qu’il voit. « Quelques disques de terre entourés par la mer, trois petites îles qui font la chaîne au couchant de l’étang de Berre (ou de Marthe [3]) avec un ruban de maisons qui flotte sur les deux rives : on dirait qu’elles sont là pour amarrer au continent les trois perles que l’eau emporterait, ou qu’elle engloutirait. »

C’est là qu’il est né le 20 avril 1868. Son père, de Roquevaire, était percepteur d’impôts. Sa mère, très pratiquante, appartenait à une famille d’officiers de marine et de notables installés à Martigues depuis plusieurs générations : les Garnier.

(La belle bastide du Chemin de Paradis… bien nommé !)

Mort en novembre 1952 à 84 ans, la vie de Charles Maurras s’inscrit à cheval sur deux siècles. Il aura marqué la moitié du xxe siècle d’un sceau inaltéré.

Vous l’avez pressenti : Maurras fut probablement, en France, l’intelligence politique et le talent littéraire parmi les plus puissants, sinon les plus redoutés, de son temps.

Et pourtant il se situe d’emblée parmi une génération riche en talents :

de Gide à Proust

de Daudet à Bainville

de Massis à Brasillach

de Thierry Maulnier à l’école de la NRF

et en passant par le déroutant Claudel…

le bouquet est étincelant.

 

X

Première étape

Une première étape de sa vie se situe avant la guerre de 1914. L’Alsace-Lorraine est allemande.

C’est un jeune Provençal qui « monte » à Paris. Il façonne sa pensée dès 18 ans par ses premières collaborations à des revues aussi différentes que les Annales de philosophie chrétienne, Polybiblion, ou la Réforme sociale de Le Play. Il s’affirmera monarchiste et devient chef d’école dans la ligne de Mistral et du félibrige. À la poésie et à la littérature, il ajoute la dimension qui le fera le plus connaître : une pensée et une action politiques sans compromis lorsqu’il s’agissait de la France et de ses valeurs traditionnelles, mais aussi de l’Église qu’il aimait de plus en plus à proportion de ce qu’il souffrit par Elle !

Jusqu’à la fondation de l’Action française qui interviendra en 1908 (quotidien en 1909), il collaborera aussi bien à la Société des félibres de Paris où il rencontre Frédéric Mistral, qu’à la Revue encyclopédique Larousse ou à la Gazette de France ou au quotidien de Maurice Barrès, La Cocarde. La Gazette de France l’enverra en mission et c’est ainsi qu’à 27 et 28 ans il découvrira la Grèce avec ravissement, même s’il doit adresser à ladite Gazette de France une relation des jeux Olympiques qui venaient d’être restaurés par Pierre de Coubertin. Puis c’est Rome dont, avec la Grèce, son œuvre sera marquée d’une saveur particulière, Florence, Pise, Venise, la Corse puis l’Angleterre.

Il a trente ans lorsque commence la première des grandes affaires qui marqueront sa vie :

L’affaire Dreyfus

condamné en 1894 : il aurait communiqué des documents à l’ennemi. Un bordereau en serait la preuve.

1897 : « l’Affaire » éclate. Zola accuse en un texte célèbre

puis en 1898 : on demande la révision.

Le commandant Esterhazy est accusé d’être l’auteur du « bordereau » accusateur.

Le 30 août 1898 : arrestation et suicide le 31 du lieutenant-colonel Henry qui aurait «fabriqué» une des pièces accusatrices !

L’armée et la justice sont attaquées. Maurras prend leur défense.

C’est un enjeu national quasi… « hors Dreyfus ».

Peu après (1898), Maurras fait paraître, après le « Chemin de Paradis », « Trois idées politiques » : Chateaubriand ou l’anarchie, Michelet ou la démocratie, Sainte-Beuve ou l’empirisme organisateur, dont l’épilogue vaut d’être savouré, tant la pensée de Maurras a déjà de fermeté, servie par un style noble et gouleyant comme un grand vin.

« Et le peuple ? me dira quelque vociférateur de la suite de Michelet.

Si l’on appelle Peuple les illettrés, je répondrai qu’une fête de Sainte-Beuve ne l’ennuierait aucunement. Au contraire, il s’admirerait de toute son âme d’ainsi fêter autre chose que ses instincts.

Orphée a dû chanter aux tigres, pour les civiliser, ses plus nobles poèmes. Pour les personnes que cette observation ne toucherait pas, je les prie d’assister à la prochaine fête de saint Bonaventure dans une église de capucins. C’est un saint très docte et très sage, d’une théologie profonde, dont les mérites ne sont appréciés que de gens d’esprit : toutefois, les mendiants du porche et le petit peuple suivent son office de très bon cœur.

Aussi bien, cette fête de Michelet a-t-elle échoué. Essayons, s’il vous plaît, de fêter un Bonaventure ou un Sainte-Beuve. Ce n’est pas la noblesse et l’élévation des idées qui fatigue et fait bâiller le peuple. On l’assomme de son propre panégyrique. Il enrage de voir que l’on s’encanaille pour lui. Le bon peuple veut des modèles, et l’on s’obstine à lui présenter des miroirs. Il se doute qu’on l’abrutit. »

 O. Cap. II-85

On ne peut celer que les deux premières années de Maurras à Paris (1886-1888) aient été marquées par une phase bohème quelque peu anarchique dont il sortit définitivement à vingt ans – grâce probablement à ces nouvelles amitiés : Mistral et Barrès. Auguste Comte avec son système de politique positive a influencé l’orientation première de la pensée du jeune Maurras, et le positivisme de Comte évoluera chez Maurras en « empirisme organisateur » qui sera l’une des clés de ses analyses politiques. D’Aix-en-Provence, l’abbé Penon continuait d’exercer sur son ancien élève une bénéfique et providentielle influence qui durera toute sa vie.

C’est en 1899 que Maurras rencontre Henri Vaugeois, qui fonde le premier comité d’Action française, et Jacques Bainville qui, avec Léon Daudet (fils d’Alphonse), formeront la trilogie de l’intelligence, du talent et de l’influence monarchique qui a dominé la moitié du xxe siècle.

Dès 1900 commence la publication de l’Enquête sur la monarchie et en même temps Anthinéa, les Amants de Venise (George Sand et Alfred de Musset) et d’Athènes à Florence. En 1905, l’Avenir de l’Intelligence.

« Mais rien n’est possible sans la réforme intellectuelle de quelques-uns. Ce petit nombre d’élus doit bien se dire que, si la peste se communique par simple contagion, la santé publique ne se recouvre pas de la même manière. Leurs progrès personnels ne suffiront pas à déterminer un progrès des mœurs. Et d’ailleurs ces favorisés, fussent-ils les plus sages et les plus puissants, ne sont que des vivants destinés à mourir un jour ; eux, leurs actes et leurs exemples ne feront jamais qu’un moment dans la vie de leur race, leur éclair bienfaisant n’entrouvrira la nuit que pour la refermer, s’ils n’essaient d’y concentrer en des institutions un peu moins éphémères qu’eux le battement de la minute heureuse qu’ils auront appelée sagesse, mérite, vertu. Seule l’intelligence, durable à l’infini, fait durer le meilleur de nous. Par elle, l’homme s’éternise : son acte bon se continue, se consolide en habitudes qui se renouvellent sans cesse dans les êtres nouveaux qui ouvrent les yeux à la vie. Un beau mouvement se répète, se propage et renaît ainsi indéfiniment. Si l’on veut éviter un individualisme qui ne convient qu’aux protestants, la question morale redevient question sociale : point de mœurs sans institutions. Le problème des mœurs doit être ramené sous la dépendance de l’autre problème, et ce dernier, tout politique, se rétablit au premier plan de la réflexion des meilleurs.

Je comprends qu’un être isolé, n’ayant qu’un cerveau et qu’un cœur, qui s’épuisent avec une misérable vitesse, se décourage, et tôt ou tard, désespère du lendemain. Mais une race, une nation sont des substances sensiblement immortelles ! Elles disposent d’une réserve inépuisable de pensées, de cœurs et de corps. Une espérance collective ne peut donc pas être domptée. Chaque touffe tranchée reverdit plus forte et plus belle. Tout désespoir en politique est une sottise absolue. »

(Avenir de l’Intelligence : fin de la préface)

Puis il publiera le Dilemme de Marc Sangnier en 1907. Tous ces ouvrages confirmeront la maturité d’une pensée qui, dans sa quête philosophique souvent proche du « pessimisme noir et gris teinté de vagues roses par l’art libérateur » (comme il l’écrira à l’abbé Penon) s’est éloignée pour longtemps des sentiers de la foi.

Il veut des preuves avec sa raison. Les cinq voies de saint Thomas ne peuvent lui donner ce à quoi son âme aspire. C’est Dieu qui donne la foi. Le contresens de Maurras ne prendra fin qu’à l’ultime de son parcours terrestre, grâce à l’évêque de Tours et à l’âme sacerdotale du chanoine Cormier. Nous en sommes encore loin… du moins en apparence.

Une couronne de personnalités d’une rare qualité entoure déjà Maurras d’une amitié qui se cristallisera autour de l’Action française (qui sera et deviendra quotidien en 1909) fondée en  1908 avec Henri Vaugeois. De 1909 à 1945 Maurras écrira chaque jour l’éditorial de l’Action française, dut-il, en prison, prendre un pseudonyme. Léon Daudet, J. Bainville, H. Massis, Maurice Pujo, Havard de La Montagne, Marie de Roux et tant d’autres furent ses collaborateurs même si tous n’ont pas rallié (tel H. Vaugeois) l’idée monarchiste dès le début.

Le nombre de lecteurs de l’Action française passe de 15 000 au bout d’un an à 70 000 et même, au plus fort de la mêlée, à 90 000. Chaque matin la classe politique lisait l’éditorial qu’il avait rédigé sur le marbre de l’imprimerie entre minuit et l’aube. Ces articles ont fait autorité pendant 35 ans. Ils lui valurent, selon les cas, amitié admirative ou haine inexpiable, plusieurs procès et quelques incarcérations pour :

la fameuse lettre à Schramek en juin 1925,

les émeutes du 6 février 1934,

8 mois de prison en 1936 pour provocation au meurtre… les jeunes d’A.F. ayant malmené la voiture de Léon Blum à l’occasion des obsèques de Jacques Bainville.

Enfin la réclusion à perpétuité et la dégradation nationale en 1945. Ce fut le total d’une facture dont l’affaire Dreyfus fut l’origine et dont les comités d’épuration tenus par les socialo-communistes en 1945 lui ont fait payer le prix de la revanche.

Conscient du danger allemand, Maurras en avait perçu les risques avant tout le monde.

Dès la Première Guerre mondiale de 1914-1918 il a mené le combat contre les traîtres à la patrie, des Français trop sensibles à la propagande germanique, parfois même au sein du gouvernement.

C’est par amour de la Patrie et pour défendre l’honneur de l’armée française qu’il demeurera antidreyfusard – bien que le capitaine Dreyfus, reconnu innocent, ait été le catalyseur, certes involontaire, d’une césure que la suite des événements accentuera jusqu’à nos jours. Césure dans la Patrie. Césure dans l’Église qui est en France.

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, en 1935 et 1940, il s’est battu, tous les jours, pour éviter une guerre avec l’Italie, pays frère, et même avec l’Allemagne tant que notre armement n’aurait pas atteint le niveau minimal pour éviter la défaite. Il a, hélas, une fois de plus été prophète. Que ne l’a t-on, alors, écouté !

Toujours dans les premières années du siècle il défendit les Jésuites dont l’expulsion avait été effectuée en 1901 et mit en garde le gouvernement contre le péril que représentait une politique hostile à l’Église. À partir de 1902, le ministère Combes amplifia cette politique contre les congrégations ; Maurras lutta pour défendre l’Église et définir une « politique religieuse », respectueuse du caractère naturel de toute association créatrice de richesse et de progrès. Lui qui souffrait cruellement de son agnosticisme – il n’avait pas encore la foi – allait devenir un défenseur de l’Église et, selon le mot de saint Pie X en 1914 : « un beau défenseur de la foi » ! Si l’on songe aux expressions sarcastiques et antichrétiennes – regrettables et qu’il a regrettées – de certains de ses ouvrages et que l’on assiste à une défense de haut niveau du « bienfait catholique » face à un gouvernement anti-ecclésial, on pourrait presque – et sous ce seul rapport ! – remercier le « petit père Combes » ! Cette situation a éclairé Maurras sur les bienfaits de l’Église. Même condamné par elle en 1926, et tout incroyant qu’il prétendait être, il a toujours respecté et défendu l’Église,  ne parlant d’elle qu’après s’être informé auprès de la hiérarchie de ce qu’elle pensait d’elle-même sur le sujet. Il s’y tenait alors. Contrairement à ce qui lui fut aussi reproché, il n’aborda jamais de questions proprement théologiques.

Pendant la Première Guerre, il a combattu pour « l’union sacrée » de tous les Français face à l’ennemi. Il a alors mis « ses passions secondes » en écharpe pour ne défendre que « la France, la France seule ».

Il renouvellera cette attitude en 1939-1945 autour du maréchal Pétain.

Son apologétique de l’Église, son soutien à l’autorité du pape, sa défense du clergé, sa campagne pour que la France rétablisse son ambassade au Vatican (ce qui se fera en 1922) furent constants. Lyautey, en 1916, adressera à Maurras son « union totale de sentiments et approbation sans réserve de la ligne du journal ».

Plusieurs cardinaux et évêques – dont l’évêque de Bordeaux Mgr Andrieu – de nombreux prêtres – dont le très thomiste père Pegues – témoignèrent leur satisfaction et leur amitié à Maurras. Gaxotte se dira « conquis par sa jeunesse (il a 49 ans en 1917), son ardeur, son alacrité ».

Je passe sur ce que Maurras a appelé le « mauvais traité de Versailles » après notre victoire de 1918 et qui impliquait d’après lui déjà l’Anschluss et la question des Sudètes. L’avenir, une fois encore, lui donnera – hélas – raison.

Deuxième période : après 1918

Dans les années 1920, Daudet et Maurras virent leur influence politique grandir : l’Action française faisait tomber les ministères. Elle tirait à 75 000 exemplaires. Ce furent aussi des années d’épreuve. Mme Maurras mère s’éteignit en 1923. La même année Marius Plateau, collaborateur, ami et presque sosie de Maurras, fut assassiné par Germaine Berton. Qui était l’inspirateur ? La police politique, a-t-on pensé. Elle fut, en effet, curieusement acquittée… Mme Plateau dut payer les frais de justice !

Joseph Maurras, son frère, médecin des troupes coloniales, mourut en 1924. Charles adopta ses enfants.

Puis ce fut le succès du Cartel des gauches avec Édouard Herriot. Les milieux catholiques se montrèrent conciliants. Pas Maurras ni ses amis d’Action française.

L’année suivante, Maurras ayant observé que le ministre de l’Intérieur, Abraham Schramek, était responsable du désarmement des camelots du roi et que, de ce fait, sept morts avaient endeuillé les groupements de droite sans défense, en quelques mois. De plus, il interdisait le défilé de Jeanne d’Arc ! c’en était trop. Il écrivit une lettre terrible. Cette lettre, qui a donné lieu à un livre et à une condamnation, est demeurée un morceau d’anthologie. En voici quelques extraits et la conclusion :

« Monsieur Abraham Schrameck, comme vous vous préparez à livrer un grand peuple au couteau et aux balles de vos complices, voici les réponses promises. Nous répondons que nous vous tuerons comme un chien […]. Pour qu’il n’y ait pas de malentendu anthume ou posthume, j’en donne l’ordre formel à ceux qui veulent bien accepter mon commandement. Jusqu’à l’attentat que vous prépariez, j’ordonnais la patience et j’interdisais de riposter sur vous. Les ordres qui partent de cette maison sont obéis, vous le savez. […] Seul l’intérêt public vous jugera et frappera par ma voix […]. Il ne m’est pas possible de vous saluer, Monsieur Abraham Schrameck, mais je vous avertis. Remerciez-m’en. »

Bien plus terrible fut la condamnation de 1926 qui vint de l’Église elle-même, voulue par le pape Pie XI et qui, jusqu’à la levée de 1939, divisa et souvent crucifia les catholiques de France.

En mars 1925, Maurras publia un important volume de vers : La Musique intérieure (son 63e ouvrage), car la perte du sens de l’ouïe avait favorisé en lui la « musique intérieure », la sensibilité à cet art délicat et qu’il voulait parfait de la poésie. Art auquel il se consacra sans cesse, en particulier dans les dernières années de sa vie en prison à Lyon, Riom, Clairvaux et Tours. La poésie était pour lui occasion de transmettre, mais avec quelle exigence ! Dans un autre ouvrage : « Barbarie et poésie », il écrit :

« Le nom de tradition ne veut pas dire la transmission de n’importe

quoi . C’est la transmission du beau et du vrai. Le nom de révolu-

tion ne veut pas dire brusque changement quel qu’il soit. Il signifie

quelque chose comme cela, et, de plus, autre chose : l’abaissement

du supérieur par l’inférieur. »

Le 1er mars 1925, Maurras était sacré « Prince des écrivains », après la mort d’Anatole France, précédent détenteur du titre.

C’est alors qu’une artillerie lourde, non certes improvisée, se mit en marche. Une polémique se déclencha en Belgique, se répercuta en France et, par suite de jalousies et de haines suscitées par les écrits de l’Action française, aboutira au « plus violent des coups que [M.] dût essuyer ». Les réquisitoires de Bordeaux puis de Rome se déroulèrent selon une équivoque qui a duré plus de 10 ans… et en sommes-nous, aujourd’hui, tout à fait sortis ?

La condamnation allait-elle être religieuse ? Un journal, les œuvres de Maurras devaient alors être jugées hostiles ou non conformes à la doctrine catholique ;

allait-elle être politique, et en ce cas, l’Église allait condamner un mouvement monarchiste, ce qui avait l’avantage de susciter ainsi la faveur du gouvernement français par un nouveau ralliement à la république dont cette condamnation serait le prix.

Voici quelques touches pour tenter de voir clair dans un ensemble d’évènements d’une bien lourde complexité !

1re étape : un coup de semonce par Mgr Andrieu, archevêque de Bordeaux et, jusque-là, ami de Maurras. Cet événement a été créé par la nonciature, ce qui laisse penser que le pape lui-même allait en ce sens. En condamnant le mouvement royaliste, il semble bien que Pie XI condamnait un courant politique qui ne reconnaissait pas au Christ la place qui est la sienne dans la société.

Le cardinal Dubois dira au père de La Brière :

« Pie XI a été conduit personnellement à considérer comme dangereuse la prépondérance maurrassienne dans l’A.F. Pour voir par lui-même, le pape a lu les livres contestés et a suivi quotidiennement, plusieurs mois, le journal la plume à la main ».

 

Peu avant de mourir, l’archevêque de Bordeaux dira à Nel Ariès (qui l’écrira à Maurras), président de la fédération d’A.F. de la Gironde :

« Au mois de juillet 1926, le nonce m’a envoyé quelqu’un pour m’avertir que le pape voulait condamner l’Action française, que je n’avais qu’à me prononcer : il m’approuverait dans les huit jours. Mais je ne connaissais pas la question et je n’étais pas préparé à cela. Et puis, on arrivait aux vacances, ne fallait-il pas attendre ? On m’a dit que c’était très pressé. J’ai demandé à soumettre un texte à Rome avant de le publier. Il m’est revenu sans correction. »

La publication de ce « réquisitoire » dans le bulletin diocésain fut l’occasion pour les ennemis de Maurras de sortir de l’ombre et de crier « Haro » sinon même « victoire » ! De quoi s’agissait-il ?

     Yves Chiron [4] résume très bien la matière de l’accusation :

 « En exposant “leur système religieux, moral et social”, les dirigeants de l’A.F. ont commis de “multiples et graves erreurs ». Ils regardent Dieu « comme inexistant ou inconnaissable, et ils se déclarent, de ce chef, athées ou agnostiques ». « Ils repoussent tous les dogmes que (l’Église) enseigne. » Ils sont « athées », « antichrétiens », « anticatholiques ». « Catholiques par calcul et non par conviction, les dirigeants de l’Action française se servent de l’Église, ou du moins ils espèrent s’en servir, mais ils ne la servent pas, puisqu’ils repoussent l’enseignement divin, qu’elle a mission de propager. » Ils « ont dû se réfugier dans l’amoralisme. Ils ont fait table rase de la distinction du bien et du mal et ils ont remplacé la recherche de la vertu par l’esthétisme, ou le culte de la beauté, et par l’épicurisme, ou l’amour du plaisir ». Enfin, sur le plan politique, le cardinal Andrieu reprochait aux dirigeants de l’A.F. de proposer « une organisation païenne où l’État, formé par quelques privilégiés, est tout, et le reste du monde n’est rien » et de vouloir « rétablir l’esclavage ».

Enfin, on attribuait à Maurras la maxime :

« Défense à Dieu d’entrer dans nos observatoires ».

Le cardinal Andrieu avait attribué à Maurras des assertions qu’il n’avait, ni lui ni son entourage, bien évidemment jamais professé !

Les dirigeants de l’A.F. adressèrent une lettre respectueuse d’indignation et de protestation contre ce qu’il faut bien appeler des calomnies sans preuves. Ils promirent 100 000 francs et Maurras ajouta un merle blanc à qui montrerait sous sa plume « des erreurs au sujet de Dieu, de l’Incarnation, de l’Église et généralement du dogme et de la morale catholiques ».

En revanche, tout ce qui était louable dans la pensée de Maurras, et que saint Pie X connaissait bien, était passé sous silence.

Des cardinaux, des évêques, seize députés et sénateurs, Bernanos, Maritain, Massis et beaucoup de personnalités catholiques soutinrent Maurras et écrivirent à Rome. Lui-même envoya une lettre longue et respectueuse à Pie XI pour rétablir les faits et exprimer sa véritable pensée.

Rien ne put arrêter la campagne menée depuis Rome.

Pie XI, le 20 décembre 1926, prononçait une condamnation solennelle et précise :

« En aucun cas, déclarait le pape, il n’est permis aux catholiques d’adhérer aux entreprises et en quelque sorte à l’école de ceux qui placent les intérêts des partis au-dessus de la religion et veulent mettre la seconde au service des premiers ; il n’est pas permis non plus de s’exposer ou d’exposer les autres, surtout les jeunes gens, à des influences ou à des doctrines constituant un péril tant pour l’intégralité de la foi et des mœurs que pour la formation catholique de la jeunesse. Il n’est pas permis non plus aux catholiques de soutenir, de favoriser, de lire des journaux dirigés par des hommes dont les écrits, en s’écartant de nos dogmes et de notre doctrine morale, ne peuvent pas échapper à la réprobation et dont il n’est pas rare que les articles, les comptes rendus et les annonces offrent à leurs lecteurs, surtout adolescents ou jeunes gens, mainte occasion de ruine spirituelle. »

Il était interdit, sous peine d’excommunication, de lire le journal l’Action Française.

Trois motifs :

L’influence pernicieuse sur la foi et les mœurs que pouvaient avoir les écrits de certains dirigeants de l’A.F.

La subordination de la religion à la politique

Le fondement non-chrétien de la doctrine de l’A.F.

Maritain se soumit et engagea Charles Maurras à en faire autant.

Le 24 décembre la réponse de l’A.F. s’imprimait en caractères d’affiche :

« NON POSSUMUS »

Ce cri de douleur et, à l’époque, presque de révolte, à la fin de sa vie, Maurras le regrettera. Saint Pie X avait dit : « condamnable mais pas à condamner ». Le 29 décembre, par ordre du Saint-Père, le Saint-Office publiait un décret mettant à l’index, outre le journal, sept ouvrages de Maurras. Les clercs, amis de Maurras, furent destitués et remplacés ou encore persécutés.
1 260 démissions à l’A.F. furent compensés par 7 924 adhésions nouvelles. La seule rupture notable fut celle de Maritain. Les catholiques de France ont été déchirés jusqu’à ce que le même Pie XI, touché par les sentiments filiaux exprimés par Maurras (ému, en particulier, par la pénible maladie qui affectait le Saint-Père), éclairé par les prières du Carmel de Lisieux, prépara lui-même la levée de condamnation. Celle-ci fut réalisée par Pie XII dès son élection au Souverain Pontificat.

Maurras avait pour sainte Thérèse (patronne secondaire de la France) une si grande dévotion qu’il avait fait graver son monogramme sur la poignée de son épée d’académicien. Il venait d’être élu à l’Académie française. Il fit quatre voyages à Lisieux pour prier et remercier. (La prieure, mère Agnès de la Sainte Face, était la sœur aînée de Thérèse.) À rappeler ici sa dévotion à Marie, héritée de sa mère. Ajoutons plusieurs échanges de lettres de fils à père avec le pape Pie XI, la douce et forte persévérance du cardinal Pacelli , et l’on aura quelques-uns des rayons de la Providence qui ont permis de rétablir Charles Maurras dans l’honneur de l’Église. Pour la fête de Notre-Dame du Mont-Carmel, le 16 juillet 1939, toutes les interdictions touchant l’Action française étaient levées.

Troisième période

La Seconde Guerre mondiale, 1939-1945, est déclarée par l’Angleterre puis par la France le 3 septembre suivant, 1939.La position de Maurras fut simple : si nous engageons la bataille dans l’état actuel de notre armement, ce sera la défaite et, selon son mot, « la boucherie ».

Le 10 mai 1940, les troupes allemandes envahissent les Pays-Bas, la Belgique,  le Luxembourg, puis Sedan et le nord de la France. Le 18, Paul Reynaud fait appel au maréchal Philippe Pétain. Le 10 juin, le gouvernement quitte Paris, l’A.F. aussi. C’était, rappelle Charles Maurras , la septième invasion allemande en un siècle et demi. L’ordre de retraite est donné à nos troupes. Le 16 juin, le président de la République (Albert Lebrun) charge le maréchal Pétain de former un nouveau gouvernement. Le 17, le Maréchal adresse aux Français un message par radio :

« Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire pour lui demander s’il est prêt à rechercher avec nous, entre soldats, après la lutte et dans l’honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités. »

 

D’autres discours dans les jours qui suivirent suscitèrent l’admiration de Maurras par « leur honnêteté et cette perfection de la clarté et du sérieux ». C’était nouveau.

Maurras et l’Action Française, à partir du 26 août 1940, adoptèrent comme devise :

    « La France, la France seule ». 

 Ce fut la ligne indéfectible du journal.

Le 10 juillet, la Chambre des députés et le Sénat, réunis en Assemblée nationale, votaient, à une très large majorité, les pleins pouvoirs au maréchal Pétain et le chargeaient d’élaborer une nouvelle constitution de la IIIe République, et le Maréchal fut nommé « Chef de l’État français ».

Pour Maurras, l’unité française était sauvée. Le maréchal Pétain, et lui seul, incarnait l’unité française, dans la légalité parfaite. Donc, le servir, c’était servir la France. L’A.F. ne dérogea pas à cette ligne. À la libération, le 8 septembre 1944, Maurras fut arrêté à Lyon avec Maurice Pujo et incarcéré dans des conditions simplement inhumaines : Maurras a 76 ans !

Le 24 janvier 1945, Maurras comparait devant la cour de justice du Rhône. Motif :

       « Il serait l’un des responsables de cette conspiration qui a conduit au désastre de 1940 », donc « traître ».

« Il aurait prôné une collaboration politique, militaire et policière avec les Allemands. »

« Inspirateur de la politique du maréchal Pétain, il était de plus accusé d’être l’adversaire du gaullisme et de la résistance, d’avoir approuvé… dans le désordre :

la politique antisémite de l’État français

les accords de Montoire

la relève et le STO

la milice

et surtout, calomnie la plus atroce, d’être l’auteur de dénonciations.

Maurras se justifia par un texte dont la lecture dura sept heures. Il confondit « accusateurs et faux témoins, faux informateurs et mauvais lecteurs de ses écrits les plus clairs ».

On ne le lui pardonnera pas !

Le verdict tomba : « intelligence avec une puissance ennemie » et « entreprise de démoralisation ». Avec des circonstances atténuantes, il était condamné à la réclusion perpétuelle et à la dégradation nationale. Maurras avait, de bout en bout, dominé les débats et il se permit même de requérir contre le ministère public.

Ce furent alors les détentions successives, les brimades discrètes, à Riom puis à Clairvaux pour Maurras et Maurice Pujo, 77 et 73 ans.

De 1945 à sa mort en 1952, Maurras écrira sur les sujets les plus graves en lien avec sa vie personnelle. Son « Pascal » date de cette époque et sa sévérité à son égard reflète son propre cheminement qui donne à la raison et aux réponses intellectuelles la place prépondérante. Il ne délaissa pas la poésie : Musique intérieure et Balance intérieure ont été repris ; plusieurs poésies écrites dans les geôles de Lyon furent soumises à son ami Henri Rambaud ; il continua à Riom puis à Clairvaux. Ce travail incessant, lui permet de traverser les épreuves en esprit de victoire, puis, peu à peu, d’espérance spirituelle. Sa « prière » de « la fin » date de 1950.

Les carmélites de Lisieux reprirent leur correspondance et adressèrent à Maurras la collection de l’Année liturgique de Dom Guéranger qu’il consulta souvent.

À Clairvaux, Xavier Vallat, compagnon de choix, vient le rejoindre et écrivit un livre de souvenirs, Charles Maurras, n° d’écrou 8.321, tandis que Maurice Pujo fut placé en libération conditionnelle.

Maurras rédigea deux requêtes en révision de son procès. Elles demeurèrent lettre-morte !

Nous devons à cette période encore son « Bienheureux PIE X – Sauveur de la France » qui éclaire les relations avec Rome sous Pie X et PIE XI. Jusqu’à la fin, il travailla d’arrache-pied !

Sur le plan de la foi, selon son expression, il restait « très coriace ». L’oreille de Dieu est infiniment plus fine et miséricordieuse que la nôtre !

  La santé de Maurras s’altéra. En juin 1950, il rédigea, on s’en souvient, la célèbre « prière de la fin » qui sera notre conclusion. Cette prière ne fut exaucée dans sa pleine lumière que deux ans plus tard, en 1952.

Une grâce médicale intervint après 7 ans et 7 mois de réclusion. Il fut toutefois assigné à résidence à la clinique de Saint-Symphorien-lès-Tours, Paris et Martigues lui étant, délicatesse suprême du régime,  interdits.

Mgr Le Couedic l’avait à deux reprises visité à Clairvaux. L’archevêque de Tours chargea le chanoine Cormier de visiter à son tour l’illustre prisonnier. Les échanges furent de plus en plus profonds, spirituels. Le chanoine Cormier fut aussi délicat que filial et paternel, donc patient…

Octobre 52, l’état de Maurras déclinait. Il acceptait de recevoir les derniers sacrements et, en toute connaissance de cause, il s’apprêtait à rendre les armes et à mourir en vrai chrétien. C’est ce qui fut réalisé.

Le 13 novembre, il se confessa, récita le confiteor, reçut l’absolution puis l’extrême onction. Le duc de Lévis-Mirepoix qui, après sa mort, a succédé à Maurras à l’Académie française, a terminé son discours de réception en rappelant ce mot, de celui qui était sourd et agnostique, à l’arrivée du Saint Viatique :

       « Pour la première fois, j’entends Quelqu’un qui vient ».

Le 15 novembre au soir, à François Daudet qui le veillait, il demanda son chapelet. Le 16, à 5 heures 50, c’est dans les bras de Jacques Maurras, son fils adoptif, qu’il rendit l’esprit.

Terminons par ce qu’il a appelé lui-même la « prière de la fin » et qui résume son âme au moment de paraître devant Celui que, sans le connaître vraiment, il avait servi de toutes ses forces, de toute sa splendide intelligence, de toutes ses passions ! et, sans peut-être le savoir, de tout son amour.

 

« Seigneur, endormez-moi dans votre paix certaine

Entre les bras de l’Espérance et de l’Amour.

Ce vieux cœur de soldat n’a point connu la haine

Et pour vos seuls vrais biens a battu sans retour.

 

Le combat qu’il soutint fut pour une Patrie,

Pour un Roi, les plus beaux qu’on ait vus sous le ciel,

La France des Bourbons, de Mesdames Marie,

Jeanne d’Arc et Thérèse et Monsieur Saint-Michel.

 

Notre Paris jamais ne rompit avec Rome.

Rome d’Athènes en fleur a récolté le fruit,

Beauté, raison, vertu, tous les honneurs de l’homme,

Les visages divins qui sortent de ma nuit :

 

Car, Seigneur, je ne sais qui vous êtes. J’ignore

Quel est cet artisan du vivre et du mourir,

Au cœur appelé mien quelles ondes sonores

Ont dit ou contredit son éternel désir.

 

Et je ne comprends rien à l’être de mon être,

Tant de Dieux ennemis se le sont disputé !

Mes os vont soulever la dalle des ancêtres,

Je cherche en y tombant la même vérité.

 

Écoutez ce besoin de comprendre pour croire !

Est-il un sens aux mots que je profère ? Est-il,

Outre leur labyrinthe, une porte de gloire ?

Ariane me manque et je n’ai pas son fil.

 

Comment croire, Seigneur, pour une âme qui traîne

Son obscur appétit des lumières du jour ?

Seigneur, endormez-la dans votre paix certaine

Entre les bras de l’Espérance et de l’Amour. »

                                                                                 Clairvaux, juin 1950


[1] C’est la même vertu qui nous relie à nos parents, à l’Église, à Dieu !

 

[2] Le mot est de lui au chanoine Cormier.

[3] Martigues : Marticum stagnum, l'étang de Marthe, prophétesse syrienne de 104 A.C.N.

[4] Dans son remarquable ouvrage La vie de Maurras, aux éditions Godefroy de Bouillon, auquel nous avons fait appel à plusieurs reprises.