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Conférence de S. E. R. le Cardinal Burke

 

PELERINAGE A NOTRE DAME DE LOURDES

ET APOSTOLAT DU RESPECT DE LA VIE HUMAINE

 

 

Introduction

Nous avons laissé les activités habituelles de notre vie quotidienne ordinaire pour venir en pèlerinage en un lieu extraordinaire, un lieu sanctifié par les apparitions à Bernadette Soubirous de la Mère de Dieu, sous son titre d’Immaculée Conception. Ici, Notre-Dame de Lourdes, avec tout son amour maternel, nous révèle la nature extraordinaire de notre vie ordinaire. En nous annonçant le mystère de son Immaculée Conception, elle manifeste le grand don de la venue du Christ dans nos vies, pour lequel elle était prête à être l’instrument privilégié, dès l’instant de sa conception, dès le premier instant de sa vie. Marie Immaculée a toujours été faite totalement pour Notre-Seigneur, son cœur a été maintenu libre de toute tache de péché, de sorte que, dans chaque parcelle de son être, elle était dédiée à Notre-Seigneur, à Son Incarnation rédemptrice.

La Vierge Marie a conçu le Fils de Dieu dans son sein immaculé, à l’ombre de l’Esprit Saint. Restant toujours vierge, totalement consacrée à Dieu par un amour pur et désintéressé, elle a donné naissance à son Sauveur. Depuis le moment de la conception et de la naissance de son Fils, jusqu’au moment de Sa mort sur le Calvaire, la Vierge Marie a pleinement coopéré, de tout son être, à Son œuvre de salut. Son Cœur Immaculé a toujours été parfaitement uni au Sacré-Cœur. Dès lors que le Fils de Dieu prend son cœur humain du Cœur Immaculé de Marie, le cœur de cette dernière a été fait Sien, son cœur battait en parfaite communion avec les battements de Son Cœur divin par amour pour tous les hommes, sans limite ou exception.

Lorsque, à la mort de Jésus, son Sacré-Cœur a été transpercé par la lance du centurion romain, le Cœur Immaculé de Marie a également été mystiquement transpercé. Dieu le Fils incarné, assis dans la gloire à la droite du Père, envoie dans nos cœurs, de son glorieux Cœur transpercé, le don immense et incessant de son amour. Sa mère, qui nous est donnée comme Mère, comme Il l’a dit alors qu’Il mourait sur la Croix, apporte à nos cœurs son Cœur Immaculé, uni à son Sacré-Cœur, pour qu’ils soient guéris de nos péchés et fortifiés, afin d’aimer comme il aime, purement et de manière désintéressée. Le message de Notre-Dame de Lourdes, aboutissant à la proclamation du mystère de l’Immaculée Conception, est un message de pénitence, d’invitation à la prière et à l’adoration eucharistique, par lequel Notre Seigneur rend nos cœurs semblables à son Sacré-Cœur.

Dans le contexte de notre pèlerinage, à travers lequel Notre-Dame nous révèle de nouveau le caractère extraordinaire de notre vie dans le Christ, je vous propose quelques réflexions sur la façon dont l’union de nos cœurs, dans le Cœur Immaculé de Marie, avec le Sacré-Cœur de Jésus, nous engage à l’apostolat du respect de la vie humaine. Notre-Dame, par le biais de notre pèlerinage, nous donne du courage pour notre vie quotidienne dans le Christ. De façon particulière, elle nous encourage à prendre de nouveau tous les moyens en vue de la sauvegarde de la dignité inviolable de chaque vie humaine, créée à l’image et ressemblance de Dieu, et rachetée par le Très Précieux Sang qui coule du glorieux Cœur transpercé de Jésus.

 

Loi divine inscrite dans le cœur de l’homme

La première cause d’encouragement à l’apostolat du respect de la vie humaine est la réalité de la loi morale naturelle, la loi que Dieu a inscrite dans le cœur de tout homme. C’est la loi que Dieu le Père a promulgué pour nous dans les Dix Commandements, la loi qui correspond à l’ordre que Dieu a mis dans sa création, l’ordre qui est une participation à la vérité, à la bonté et à la beauté de son être propre. C’est une loi que tout homme, parce qu’il est créé à l’image et ressemblance de Dieu, doué d’intelligence et de volonté libre, connait au plus profond de son être. C’est une loi que l’homme, seule créature terrestre créée à l’image et ressemblance de Dieu, est capable de contempler, de respecter et d’observer. C’est la loi qui établit l’homme gardien et intendant de la création, qui établit la participation de l’homme aux soins de la Providence divine pour le monde et, surtout, à ses fils et filles destinés à la communion avec Lui, pour toujours, dans le Royaume des Cieux. Cela se manifeste par une capacité native de l’homme à distinguer la vérité du mensonge, le bien du mal, et la beauté de la laideur.

Dieu le Père a promulgué la loi morale pour son peuple élu dans le Décalogue, les Dix Commandements, et Notre-Seigneur Jésus-Christ en a donné la plénitude de l’expression dans le Sermon sur la montagne, dans les Béatitudes. Mais tout homme, à travers sa conscience, les connait et est tenu de les respecter. Après les trois premiers commandements qui ont trait à notre relation avec Dieu lui-même, notre adoration de Dieu seul, et le quatrième commandement qui régit la famille comme origine et refuge sûr de la vie humaine, le cinquième commandement, «Tu ne tueras point», donne une expression à la loi inscrite dans l’âme humaine qui fait que toute attaque sur la vie humaine innocente est à réprouver, et le service pur et désintéressé de toute vie humaine désirable.

L’apostolat du respect de la vie humaine n’est pas, par conséquent, basé sur une idée, ou une réalisation humaine, qui peut réussir ou ne pas réussir pour une période plus ou moins longue. Il est fondé sur la réalité même de notre nature humaine et, surtout, la plus haute faculté de notre nature humaine, la conscience, la faculté par laquelle Dieu ne manque jamais de nous communiquer ce qui est vrai, bon et beau. Nous n’avons jamais raison, par conséquent, d’abandonner tout espoir dans l’apostolat du respect de la vie humaine, car c’est Dieu lui-même qui nous a créés ainsi et nous a appelés à être ses collaborateurs dans le monde. Dans l’exercice de l’apostolat, nous répondons au plan de Dieu pour sa création et non à quelque projet humain pour notre monde.

Ici, nous comprenons le sens profond de l’appel de Notre-Dame à la pénitence dans nos vies. «Pénitence! Pénitence! Pénitence!», a déclaré Notre-Dame lors de sa huitième apparition, en nous enseignant ainsi à prier pour la conversion des pécheurs. Nous devons être convaincus que, en fin de compte, chaque homme, chaque fois qu’il a purifié son esprit et son cœur de la confusion et de l’erreur qui troublent la conscience, une fois que sa conscience a été informée de la vérité, va vouloir faire le bien et éviter le mal, d’abord et avant tout par la sauvegarde et la promotion de la vie humaine. Le don de la purification et de guérison de l’eau de Notre-Dame est le signe des fruits merveilleux que donnent la vie de pénitence et de prière dans notre vie quotidienne.

 

L’apostolat et le bien commun

En nous engageant dans l’apostolat du respect de la vie humaine, donc, nous devrions être sûrs que cet apostolat n’est pas une activité purement confessionnelle à laquelle les catholiques sont tenus de prendre part parce qu’ils sont catholiques, mais plutôt une activité qui répond à notre être profond de frères et sœurs dans la famille humaine. L’apostolat n’est pas effectué pour le bien spécifique de l’Eglise et ses membres, mais pour le bien commun, pour le bien de tout homme, afin qu’il puisse atteindre la perfection pour laquelle Dieu l’a créé.

Certes, parce que l’apostolat répond à notre être, depuis sa formation, qui n’est rien de moins qu’une participation à l’être de Dieu, notre foi catholique nous donne la meilleure compréhension possible de la vérité et nous donne la force de Dieu, la force de Sa grâce qui nous est donnée dans l’Église, de respecter la vérité dans l’action. Mais cet apostolat pour la vie est une activité dans laquelle chaque homme de conscience droite voudra se joindre à nous, d’une certaine façon et dans la mesure de ses possibilités.

Pour nous, en tant que catholiques, la sainteté de la vie, qui se manifeste d’abord dans le respect de toute vie humaine, est le fruit de notre vie dans le Christ et dans l’Église ; elle est le fruit du secours que trouvent nos doutes fréquents, notre cœur craintif et pauvre dans le glorieux Cœur transpercé de Jésus, en particulier par la prière et les sacrements. Dans le Sacré-Cœur de Jésus, nous trouvons la purification de nos péchés et la force de nous aimer les uns les autres comme Dieu nous aime, purement et de manière désintéressée. Cherchons la sainteté de la vie, cherchons à vivre plus totalement et fidèlement dans le Christ, à donner notre cœur au Christ, sans cesse et sans réserve, à porter une attention constante à nos consciences, de sorte qu’elle soit sans cesse plus lumineuse et plus claire grâce à l’écoute de la Parole de Dieu qui vient à nous dans l’Eglise et dissipe la confusion et l’erreur. C’est Notre-Dame de Lourdes qui, par l’amour maternel qui s’écoule de son Cœur Immaculé, nous attire à elle et, à son tour, par la pénitence et la prière, elle conduit nos cœurs à leur refuge sûr qu’est le Cœur de Jésus.

 

L’obéissance à la conscience

La conscience est la voix de Dieu dans notre âme humaine. Elle est, par conséquent, toujours en phase avec le Christ lui-même qui instruit et informe par son Vicaire (le Souverain Pontife) et par les évêques en communion avec le Pontife romain. Le Bienheureux Cardinal John Henry Newman décrit la conscience comme « un messager de Celui, qui, tant dans la nature que dans la grâce, nous parle derrière un voile, et nous enseigne les règles par ses représentants. »[1]

Nous devons être convaincus que la culture de mort, qui contredit dès son origine la loi morale naturelle, ne peut jamais réussir, et que la culture de la vie, une culture qui s’exprime dans toutes les dimensions de la loi morale (l’ethos) écrite au cœur de tout homme, remportera la victoire. L’apostolat que nous réalisons, par conséquent, répond à ce qui se trouve dans le cœur de chaque homme de la manière la plus profonde.

Notre certitude de la victoire de la culture de la vie n’est certainement pas là pour nous excuser d’un engagement vigoureux pour hâter le jour de la victoire, pour l’amour des vies innocentes et sans défense, qui sont victimes de la culture de mort. L’espérance dans la victoire de la vie, au contraire, exige que nous fassions tout ce qui est en notre pouvoir pour surmonter la culture de mort. N’oubliez pas l’urgence avec laquelle Notre-Dame de Lourdes nous invite, par Sainte Bernadette, à la pénitence et à la prière pour la conversion des pécheurs. Nous reconnaissons ainsi, en effet, que nos frères et sœurs, ceux dont les vies sont les plus menacés dans notre culture, sont dépendants de nous pour sauvegarder et  promouvoir toute vie humaine. La conscience n’exige rien de moins de chacun de nous.

            Ici, nous devons être attentifs à une fausse conception de la conscience, qui prévaut dans notre culture, qui voit notre apostolat comme une tentative d’enlever la liberté d’autrui, d’imposer notre façon de penser aux autres. Dans son adresse de Noël au Collège des Cardinaux, à la Curie romaine et au Gouvernorat de la Cité du Vatican, le 22 décembre de l’année dernière, le pape Benoît XVI a stigmatisé la fausse notion répandue de la conscience et son rôle dans les maux graves qui sont commis quotidiennement dans notre culture. En ce qui concerne les maux graves qui assaillent le monde, de nos jours, le pape Benoît XVI a déclaré que ce sont tous des signes « de la tyrannie de mammon qui pervertit l’homme » et qu’ils résultent d’un « malentendu fatal de la liberté, où justement la liberté de l’homme est minée et à la fin complètement anéantie» [2]. Ils sont des manifestations, il est vrai, d’une façon de vivre, pour reprendre les mots du bienheureux Pape Jean-Paul II, « comme si Dieu n’existait pas ».[3]

            Dans son discours de Noël 2010, notre Saint-Père commence par décrire la perversion de l’éthique, de la norme morale, qui a même pénétré dans la pensée de certains théologiens dans l’Église et qui a fourni une base idéologique pour une culture qui est principalement marquée par la violence et la mort. Se référant à une manifestation particulièrement choquante de l’idéologie, il a déclaré :

« On affirmait – jusque dans le cadre de la théologie catholique – que n’existerait ni le mal en soi, ni le bien en soi. Existerait seulement un "mieux que" et un "pire que". Rien ne serait en soi-même bien ou mal. Tout dépendrait des circonstances et de la fin poursuivie. Selon les buts et les circonstances, tout pourrait être bien ou aussi mal. La morale est substituée par un calcul des conséquences et avec cela cesse d’exister. »[4]

 

            Le pape Benoît XVI décrit un relativisme moral, appelé proportionnalisme ou conséquentialisme dans la théologie morale contemporaine, qui a provoqué une profonde confusion et une erreur mortelle en ce qui concerne les vérités les plus fondamentales de l’ordre moral[5]. Il a conduit à une situation où la morale elle-même, selon les paroles du Saint-Père, « cesse d’exister ». Nous pensons, par exemple, à la justification de l’assassinat de l’enfant à naître dans le ventre de sa mère, sous prétexte de l’exercice du droit de la mère à choisir, sur un pied d’égalité avec d’autres biens, de mener à terme le bébé qu’elle a conçu ou non ; à la justification des pratiques odieuses de la génération artificielle de la vie humaine et de sa destruction, au stade embryonnaire de développement, comme le moyen d’obtenir de possibles soins pour les maladies invalidantes ou mortelles ; nous pensons aussi à la justification du soi-disant ‘meurtre par compassion’ de ceux qui ont droit à nos soins au premier titre, nos frères et sœurs dont la faiblesse s’est accrue en raison de leur âge avancé, d’une maladie grave ou qui ont des besoins spéciaux, comme le respect de la qualité de leur vie ; nous pensons aussi à la justification de l’union sexuelle de deux personnes du même sexe, sous le prétexte de la tolérance vis-à-vis de formes soi-disant alternatives de la sexualité humaine, comme s’il y avait une forme de la sexualité humaine autre que la forme inscrite par Dieu Lui-même dans l’âme et le corps humains.

 

Fausse notion de la Conscience

            En lien étroit avec le relativisme moral se situe une idée fausse de la conscience, qui utilise en fait la conscience pour justifier des actes gravement désordonnés. Dans le discours de Noël que nous venons de citer, le Pape Benoît XVI, faisant une réflexion sur la béatification du cardinal John Henry Newman, qu’il a célébrée lors de son voyage apostolique en Grande-Bretagne en septembre de l’année dernière, énonce la vérité sur la conscience face à une fausse notion de conscience qui est en vogue dans notre culture. Il a déclaré :

« Dans la pensée moderne, la parole "conscience" signifie qu’en matière de morale et de religion, la dimension subjective, l’individu, constitue l’ultime instance de la décision. Le monde est divisé dans les domaines de l’objectif et du subjectif. A l’objectif appartiennent les choses qui peuvent se calculer et se vérifier par l’expérience. La religion et la morale sont soustraites à ces méthodes et par conséquent sont considérées comme appartenant au domaine du subjectif. Ici, n’existeraient pas, en dernière analyse, des critères objectifs. L’ultime instance qui ici peut décider serait par conséquent seulement le sujet, et avec le mot "conscience" on exprime justement ceci : dans ce domaine peut seulement décider un chacun, l’individu avec ses intuitions et ses expériences. La conception que Newman a de la conscience est diamétralement opposée. Pour lui, "conscience" signifie la capacité de vérité de l’homme : la capacité de reconnaître justement dans les domaines décisifs de son existence – religion et morale – une vérité, la vérité. La conscience, la capacité de l’homme de reconnaître la vérité lui impose avec cela, en même temps, le devoir de se mettre en route vers la vérité, de la chercher et de se soumettre à elle là où il la rencontre. La conscience est capacité de vérité et obéissance à l’égard de la vérité, qui se montre à l’homme qui cherche avec le cœur ouvert. »[6]

La conscience, par conséquent, ne nous établit pas à part, comme un arbitre de ce qui est juste ou bon, mais elle nous unit dans la poursuite d’une vérité, c’est-à-dire en définitive notre Seigneur Jésus-Christ, qui est le seul arbitre de ce qui est droit et bon, de sorte que nos pensées, paroles et actions mettent en pratique cette vérité.

            Pour connaître le rôle essentiel de la notion de liberté de conscience dans l’exercice de l’apostolat du respect de la vie humaine, nous devons faire tout ce que nous pouvons, à la maison et dans d’autres établissements d’enseignement, pour former nos consciences et surtout les consciences de nos enfants et des jeunes qui dépendent de nous, pour les établir et les guider sur le chemin de la vérité, grâce aussi à la discipline. Il va de soi que toute forme véritable d’éducation sera attentive à l’éveil de la conscience de l’élève à la vérité et à le rendre plus fort pour agir en accord avec la vérité. Un étudiant, par exemple, qui apprend la vérité que la vie humaine commence au moment de la conception sera, en même temps, formé dans le respect inconditionnel de la vie humaine dès son premier moment. Il aura appris à reconnaître la fausseté de ceux qui appellent la vie humaine, à ses premiers stades de développement, par un autre nom, afin de masquer la vérité qui est qu’il s’agit bien d’une vie humaine.

            Dans son discours de Noël de 2010, le pape Benoît XVI a exhorté ses auditeurs à étudier à nouveau l’enseignement de son prédécesseur, le bienheureux Pape Jean Paul II, dans son encyclique Veritatis Splendor, "Sur les principes fondamentaux de morale de l’Église enseignante". Dans Veritatis Splendor, le Pape Jean-Paul II, selon les paroles du Pape Benoît XVI, « a indiqué avec une force prophétique, dans la grande tradition rationnelle de l’ethos chrétien, les bases essentielles et permanentes de l’agir moral. »[7]. Veritatis Splendor est un fruit remarquable del’herméneutique de la réforme” ou la continuité de ce qui relève de la doctrine morale pérenne de l’Eglise. Nous rappelant la nécessité de former notre conscience, en accord avec l’enseignement moral de l’Église, notre Saint-Père nous a également rappelé « notre responsabilité de rendre de nouveau audibles et compréhensibles parmi les hommes ces critères [les bases essentielles et permanentes de l’agir moral] comme chemins de la véritable humanité, dans le contexte de la préoccupation pour l’homme, où nous sommes plongés »[8]. L’enseignement de la vérité au sujet de la conscience doit être, aujourd’hui, une des contributions les plus importantes de l’Eglise à la vie de la société en général. Dans une culture bombardée par les bruits et de fausses images de la sécularisation, l’Eglise, par amour de tous nos frères et sœurs et pour l’amour du bien commun, doit faire entendre la voix de la conscience « audible et intelligible une fois de plus pour les gens ».

            En Jésus-Christ, Dieu le Fils s’est fait homme, le ciel est venu sur terre pour dissiper les ténèbres de l’erreur et du péché, et combler les âmes de la lumière de la vérité et de la bonté. Si les chrétiens vivent dans le Christ, dans l’union de leurs cœurs avec son Sacré-Cœur, ils sont pleins d’espérance. Et quand leurs frères et sœurs, perdus dans le monde irréel et destructeur du relativisme moral et, par conséquent, tentés par le désespoir, les rencontreront, ils vont découvrir l’espérance dont ils ont besoin. Vivant en Jésus-Christ, vivant selon la vérité de la loi morale qu’Il enseigne dans Son Église, les chrétiens deviennent la lumière pour dissiper la confusion et les erreurs qui ont conduit aux si nombreux et si graves maux moraux de notre temps, et inspirer une vie vécue en accord avec la vérité et, par conséquent, marquée par la liberté et le bonheur. Les paroles de notre Saint-Père montrent clairement le dynamisme inhérent à la vie de l’Esprit Saint dans l’âme, qui conduit le chrétien à témoigner du mystère de l’amour de Dieu dans sa vie et ainsi à transformer sa propre vie plus pleinement dans le Christ et à transformer le monde.

 

Conscience et vie publique

Une notion erronée de la loi morale et de la conscience a conduit à une exclusion de la vie publique tout aussi erronée de la discussion de la loi morale et des questions de conscience. Dans de nombreuses nations dites avancées, nous assistons à une tendance croissante à refuser aux citoyens le droit le plus fondamental, le droit d’observer les préceptes de la conscience formé par la droite raison et l’enseignement de l’Église. Nous assistons à ce phénomène dans la bouche de dirigeants politiques qui prétendent être catholiques et votent encore pour une loi qui viole la loi morale, prétendant tenir personnellement à ce que la loi morale exige, mais, en même temps, étant obligés par le bureau politique de suivre une autre loi, prenant des décisions pour ceux qu’ils représentent et les gouvernements.

            Même si l’Église enseigne la loi morale naturelle, le respect de la loi morale n’est pas une pratique confessionnelle. Elle est plutôt une réponse à ce qui est inscrit dans les profondeurs du cœur de tout homme. La foi religieuse articule clairement la loi morale naturelle, permettant aux hommes de foi de reconnaître plus facilement ce que leur propre nature humaine et la nature des choses demandent à chacun d’entre eux, et à conformer leur vie à la vérité qu’ils reconnaissent. Pour cette raison, la foi et la pratique religieuse sont importantes pour la vie de tous les pays, en particulier pour la formation droite de la conscience des citoyens. Toutes les nations doivent garantir le libre exercice de la religion, qui vise à protéger l’enseignement et la pratique de la foi religieuse dans l’intérêt du bien commun. Quand la raison n’est pas purifiée par la foi dans la sphère politique, les puissants et influents exercent une tyrannie qui viole les droits fondamentaux du peuple, celui-là même que les dirigeants politiques sont appelés à servir.

            Le pape Benoît XVI, lors de sa rencontre avec le monde de la culture à l’Hôtel de Ville de Westminster, au cours de sa visite pastorale en Grande-Bretagne en Septembre 2010, a réfléchi « sur la juste place de la croyance religieuse à l’intérieur de la vie politique »[9]. S’inspirant de l’exemple de Saint Thomas More, il a parlé directement des « fondements éthiques du discours civil »[10]. Présentant la foi religieuse en tant que service à la culture en général, il expose la compréhension catholique de la question en ces termes :

« Mais alors la question centrale qui se pose est celle-ci : où peut-on trouver le fondement éthique des choix politiques ? La tradition catholique soutient que les normes objectives qui dirigent une action droite sont accessibles à la raison, même sans le contenu de la Révélation. Selon cette approche, le rôle de la religion dans le débat politique n’est pas tant celui de fournir ces normes, comme si elles ne pouvaient pas être connues par des non-croyants – encore moins de proposer des solutions politiques concrètes, ce qui de toute façon serait hors de la compétence de la religion – mais plutôt d’aider à purifier la raison et de donner un éclairage pour la mise en œuvre de celle-ci dans la découverte de principes moraux objectifs »[11]

Le pape Benoît XVI a noté que le rôle de la religion dans le discours public « n’est […] pas toujours bien accueilli », pour diverses raisons, parmi lesquelles on trouve « des formes déviantes de la religion, telles que le sectarisme et le fondamentalisme »[12].

            Il a fait observer, toutefois, que ces distorsions ne justifient pas l’exclusion de la religion du discours public, car « la raison aussi peut tomber dans des distorsions, comme lorsqu’elle est manipulée par l’idéologie, ou lorsqu’elle est utilisée de manière partiale si bien qu’elle n’arrive plus à prendre totalement en compte la dignité de la personne humaine »[13]. Ce qui reste nécessaire et vrai est la bonne relation entre foi et raison. Le Saint-Père conclut :

« C’est pourquoi, je voudrais suggérer que le monde de la raison et de la foi – le monde de la rationalité séculière et le monde de la croyance religieuse – reconnaissent qu’ils ont besoin l’un de l’autre, qu’ils ne doivent pas craindre d’entrer dans un profond dialogue permanent, et cela pour le bien de notre civilisation »[14].

            La religion, a-t-il poursuivi, « n’est pas un problème que les législateurs doivent résoudre, mais elle est une contribution vitale au dialogue national »[15]. Compte tenu du rôle irremplaçable de la religion dans la vie publique, le Saint-Père a exprimé sa « préoccupation devant la croissante marginalisation de la religion, particulièrement du christianisme, qui s’installe dans certains domaines, même dans des nations qui mettent si fortement l’accent sur la tolérance »[16].

            Le pape Benoît XVI a conclu son discours à Westminster Hall avec une invitation à préserver et à favoriser la bonne relation entre foi et raison, qui est essentielle à la poursuite du bien commun, du bien de la société. Dans son discours de Noël 2010, le Pape a conclu par une référence à son discours à Westminster Hall avec ces mots d’urgence :

« Ce consensus [moral] de fond provenant du patrimoine chrétien est en péril là où, à sa place, à la place de la raison morale, succède la simple rationalité finaliste dont j’ai parlé il y a peu. En réalité, c’est un aveuglement de la raison pour ce qui est essentiel. Combattre cet aveuglement de la raison et lui conserver la capacité de voir l’essentiel, de voir Dieu et l’homme, ce qui est bon et ce qui est vrai, est l’intérêt commun qui doit unir tous les hommes de bonne volonté. L’avenir du monde est en jeu »[17].

Il n’y a pas de doute à avoir sur l’urgence avec laquelle le Pape Benoît XVI nous appelle à commencer un débat public avec les vérités fondamentales de la loi morale, telle qu’elle est enseignée par la raison et la foi.

            Pouvoir réfléchir sur la place nécessaire de l’expression de notre foi dans la vie publique, en particulier dans l’ordre politique, est un autre motif d’espérance pour nous dans l’exercice de l’apostolat du respect de la vie humaine. Oui, une véritable lutte est engagée avec ceux qui à tort excluent les capacités de la foi à purifier et à éclairer la raison, confrontés à ceux qui insistent pour que, quand il s’agit de la vie civique, nous muselions notre foi religieuse, au point de violer nos propres consciences. Mais nous savons la vérité sur les services essentiels que notre foi apporte à un raisonnement politique, et, par conséquent, nous devons rester fermes dans le témoignage et ce, même en face de l’indifférence et de l’hostilité.

 

Conclusion

            J’espère que ces quelques réflexions, offertes dans l’extraordinaire lieu saint des apparitions de Notre-Dame de Lourdes à sainte Bernadette, seront la cause d’une espérance renouvelée pour l’ensemble d’entre vous, qui vous consacrez de diverses manières, selon votre vocation et la diversité de vos dons personnels, à l’apostolat pour le respect de la vie humaine. Le combat de notre apostolat n’est en aucun cas facile, dans une société entièrement sécularisée ; il s’agit clairement d’une lutte à long terme. Mais nous ne devons jamais nous décourager, nous ne devons jamais nous laisser aller à la lassitude, car nous faisons le travail que Dieu Lui-même nous a confié, une œuvre dans laquelle nous sommes très proches de celui qui est l’amant de l’humanité, sans limite et sans exception.

Notre-Dame de Lourdes, l’Immaculée Conception, nous enseigne l’amour qui respecte la dignité inviolable de la vie humaine dès le premier moment de son existence et, par conséquent, nous rassemble en une communauté dédiée à servir le bien commun, le bien de tous, sans limite ou exception. Si nous sommes de temps en temps, comme on peut le comprendre, découragés dans notre apostolat pour rétablir le respect de la dignité inviolable de la vie humaine innocente dans notre société, il faut nous tourner vers Notre-Dame, mendier son intercession et imiter sa confiance totale en Dieu, sûrs que les promesses de salut pour nous seront tenues.

Elle nous regarde avec amour maternel et, quand nous abandonnerions, découragés, notre réponse obéissante à ce que la loi exige morale de nous, elle nous parle, comme elle a parlé à sainte Bernadette, nous exhortant à la pénitence et la prière, surtout à la prière du Saint Rosaire et à l’adoration eucharistique, en particulier les processions eucharistiques. Confions nos inconstances et nos craintes à la prière de Marie Immaculée, et laissons-nous attirer  par son l’exemple à rester fidèle et courageux.

            La lutte est féroce et l’opposition est puissante. Mais la victoire est déjà la nôtre, tant que nous demeurons dans le Christ, fidèles à son Évangile de la vie, car Il nous a dit : « Et moi, je suis avec vous pour toujours jusqu’à la consommation des siècles ».[18] Nous savons que si nous sommes fidèles à notre conscience, obéissants à la voix de Dieu qui nous parle dans les profondeurs de nos cœurs, nous allons accomplir tout ce que Dieu nous demande, comme ses vrais fils et filles, ses fidèles collaborateurs dans le travail du salut du monde.

 

Raymond L. Card. BURKE


 

[1] « a messenger from Him, who, both in nature and in grace, speaks to us behind a veil, and teaches and rules us by His representatives ». John Henry Cardinal Newman, Certain Difficulties Felt by Anglicans in Catholic Teaching, Vol. 2, London: Longmans, Green, and Co., 1900,  p. 248.

[2] « della dittatura di mammona che perverte l’uomo …. un fatale fraintendimento della libertà, in cui proprio la libertà dell’uomo viene minata e alla fine annullata del tutto ».  Benedictus PP. XVI, Allocutio "Omina Nativitatis novique Anni Curiae Romanae significantur", 20 decembris 2010, Acta Apostolicae Sedis 103 (2011), p. 36. Version française : Pape Benoît XVI, "Vœux de Noël de Benoît XVI au Collège des Cardinaux, à la Curie Romaine et au Gouvernorat", 20 décembre 2010 : http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/
speeches/2010/december/documents/hf_ben-xvi_spe_20101220
_curia-auguri_fr.html (dans la suite de la présente conférence, les citations françaises de ce discours de Benoît XVI seront toutes prises de cette source).

[3] « etsi Deus non daretur ». Ioannes Paulus PP. II, Adhortatio Apostolica Post-synodalis Christifideles laici, "de vocatione et missione Laicorum in Ecclesia et in mundo", 30 decembris 1988, Acta Apostolicae Sedis 81 (1989), p. 454, n. 34. Version française : Bhx Pape Jean Paul II, Exhortatio Apostolique post-synodale Christifideles Laici, "Sur la vocation et la mission des laïcs dans le monde", 30 décembre 1988, no. 34.

[4] « Si asseriva – persino nell’ambito della teologia cattolica – che non esisterebbero né il male in sé, né il bene in sé. Esisterebbero soltanto un "meglio di" e un "peggio di". Niente sarebbe in se stesso bene o male. Tutto dipenderebbe dalle circostanze e dal fine inteso. A seconda degli scopi e delle circostanze, tutto potrebbe essere bene o anche male. La morale viene sostituita da un calcolo delle conseguenze e con ciò cessa di esistere ». Allocutio 2010, pp. 36-37. Version française : Pape Benoît XVI, "Vœux de Noël de Benoît XVI au Collège des Cardinaux, à la Curie Romaine et au Gouvernorat", 20 décembre 2010.

[5] Cf. Ioannes Paulus PP. II, Litterae Encyclicae Veritatis splendor, "de quibusdam quaestionibus fundamentalibus doctrinae moralis Ecclesiae", 6 augusti 1993, Acta Apostolicae Sedis 85 (1993), pp. 1193-1194, n. 75. Version française :  Bhx Pape Jean Paul II, Lettre Encyclique Veritatis Splendor, "Sur quelques questions fondamentales de l'enseignement moral de l'Église", 6 août 1993.

[6] « Nel pensiero moderno, la parola "coscienza" significa che in materia di morale e di religione, la dimensione soggettiva, l’individuo, costituisce l’ultima istanza della decisione. Il mondo viene diviso negli ambiti dell’oggettivo e del soggettivo. All’oggettivo appartengono le cose che si possono calcolare e verificare mediante l’esperimento. La religione e la morale sono sottratte a questi metodi e perciò sono considerate come ambito del soggettivo. Qui non esisterebbero, in ultima analisi, dei criteri oggettivi. L’ultima istanza che qui pùo decidere sarebbe pertanto solo il soggetto, e con la parola "coscienza" si esprime, appunto, questo: in questo ambito può decidere solo il singolo, l’individuo con le sue intuizioni e esperienze. La concezione che Newman ha della coscienza è diametralmente opposta. Per lui "coscienza" significa la capacità di verità dell’uomo: la capacità di riconoscere proprio negli ambiti decisivi della sua esistenza – religione e morale – una verità, la verità. La coscienza, la capacità dell’uomo di riconoscere la verità, gli impone con ciò, al tempo stesso, il dovere di incamminarsi verso la verità, di cercarla e di sottomettersi ad essa laddove la incontra. Coscienza è capacità di verità e obbedienza nei confronti della verità, che si mostra all’uomo che cerca col cuore aperto ». Allocutio 2010, pp. 39-40. Version française : Pape Benoît XVI, "Vœux de Noël de Benoît XVI au Collège des Cardinaux, à la Curie Romaine et au Gouvernorat", 20 décembre 2010.

[7] « indicó con forza profetica nella grande tradizione razionale dell’ethos cristiano le basi essenziali e permanenti dell’agire morale ». Allocutio 2010, p. 37. Version française : Pape Benoît XVI, "Vœux de Noël de Benoît XVI au Collège des Cardinaux, à la Curie Romaine et au Gouvernorat", 20 décembre 2010.

[8] « nostra responsabilità rendere nuovamente udibili e comprensibili tra gli uomini questi criteri [le basi essenziali e permanenti dell’agire morale] come vie della vera umanità, nel contesto della preoccupazione per l’uomo, nella quale siamo immersi ». Allocutio 2010, p. 37. Version française: Pape Benoît XVI, "Vœux de Noël de Benoît XVI au Collège des Cardinaux, à la Curie Romaine et au Gouvernorat", 20 décembre 2010.

[9] « on the proper place of religious belief within the political process ». Benedictus PP. XVI, Allocutio, "Iter Apostolicum Summi Pontificis in Regnum Unitum: Londinii in Aula Vestmonasteriensi colloquium Benedicti XVI cum primoribus Societatis Civilis; cum doctis vivis culturae, scientiis et operum conductioni deditis; cum Corpore Legatorum et Religiosis Auctoritatibus", 17 septembris 2010, Acta Apostolicae Sedis 102 (2010), p. 635. Version française: Pape Benoît XVI, "Rencontre avec le Parlement et la British Society", 17 septembre 2010 : http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/speeches/2010/september/documents/hf_ben-xvi_spe_
20100917_societa-civile_fr.html
(dans la suite de la présente conférence, les citations françaises de ce discours de Benoît XVI seront toutes prises de cette source).

[10] « the ethical foundations of civil discourse ». Ibid., p. 636.

[11] « The central question at issue, then, is this: where is the ethical foundation for political choices to be found? The Catholic tradition maintains that the objective norms governing right action are accessible to reason, prescinding from the content of revelation. According to this understanding, the role of religion in political debate is not so much to supply these norms, as if they could not be known by non-believers – still less to propose concrete political solutions, which would be altogether outside the competence of religion – but rather to help purify and shed light upon the application of reason to the discovery of objective moral principles ». Ibid., pp. 636-637.

[12] « is not always welcomed» «distorted forms of religion, such as sectarianism and fundamentalism ». Ibid., p. 637.

[13] «reason too can fall prey to distortions, as when it is manipulated by ideology, or applied in a partial way that fails to take full account of the dignity of the human person ». Ibid., p. 637.

[14] « This is why I would suggest that the world of reason and the world of faith – the world of secular rationality and the world of religious belief – need one another and should not be afraid to enter into a profound and ongoing dialogue, for the good of our civilization ». Ibid., p. 637.

[15] « is not a problem for legislators to solve, but a vital contributor to the national conversation ». Ibid., p. 637.

[16] « concern at the increasing marginalization of religion, particularly of Christianity, that is taking place in some quarters, even in nations which place a great emphasis on tolerance ». Ibid., p. 637.

[17] « Questo consenso [morale ] di fondo proveniente dal patrimonio cristiano è in pericolo là dove al suo posto, al posto della ragione morale, subentra la mera razionalià finalistica di cui ho parlato poco fa. Questo è in realtà un accecamento della ragione per ciò che è essenziale. Combattere contro questo accecamento della ragione e conservarle la capacità di vedere l’essenziale, di vedere Dio e l’uomo, ciò che è buono e ciò che è vero, è l’interesse comune che deve unire tutti gli uomini di buona volontà. È in gioco il futuro del mondo ». Allocutio 2010, p. 39. Version française : Pape Benoît XVI, “Vœux de Noël de Benoît XVI au Collège des Cardinaux, à la Curie Romaine et au Gouvernorat”, 20 décembre 2010.

[18] Mt 28, 20.