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SERMON DE  ST FRANÇOIS DE SALES POUR  LE DEUXIÈME DIMANCHE DE L'AVENT

6 décembre 1620

Editions Œuvres complètes, Annecy, Tome 9, p.398-416

Tu es qui venturits es, an alium expectamus ?

Êtes‑vous Celui qui doit venir, ou devons‑nous eu attendre un autre ? Mat.XI, 3

 

 

L'Evangile que nous lisons à la Messe de ce jour est divisé en trois parties. La première relate comment  Saint Jean , en prison pour la Vérité, envoya deux de ses disciples à Notre-Seigneur pour savoir s'il était le Messie promis ou s'ils  devaient en attendre un autre. La seconde est la réponse que leur fit le Sauveur. Et la troisième, raconte ce qu'il dit après que les disciples de Saint Jean s'en furent retournés.

 

C'est une chose admirable que nos anciens Pères, qui ont été si clairvoyants et ont eu de si grandes lumières pour expliquer et développer les plus grandes et obscures difficultés que présente la Sainte Ecriture, se soient néanmoins tous trouvés étonnés du premier point de cet Evangile pour savoir comment il devait être compris que Saint Jean qui connaissait Notre Seigneur envoyât ses disciples pour apprendre s'il était ce grand Prophète, ce Messie promis, ou s'ils  devaient en attendre un autre. Car, disent‑ils, si Saint Jean savait assurément qu'il était le Messie, pourquoi les  envoie‑t‑il demander qui il est ?

 

Or, qu'il sût bien que Celui à qui il envoyait faire la demande était vraiment le Messie, cela est indubitable, car il le connut étant encore dans le ventre de sa mère, et il n'y a aucun Saint qui ait eu une plus grande lumière et intelligence du mystère de l'Incarnation que ce glorieux Saint Jean. Il fut l'écolier de Notre-Dame, et lorsqu'elle alla visiter sa cousine Elisabeth il fut sanctifié par le cher Sauveur de nos âmes, qu’il reconnut. Tressaillant d'aise dans les entrailles de sa mère , il l'adora et se consacra à son divin service. Il fut son Précurseur, et annonça sa venue au monde. C'est lui qui le baptisa, lui qui vit descendre le Saint-Esprit sous la forme d’une colombe et qui entendit la voix du Père disant : «  Celui-ci est mon Fils bien aimé auquel je prends tout mon plaisir ». C'est lui qui le montra du doigt, prononçant ces paroles : «  Ecce Agnus Dei- Voici l'Agneau de Dieu - qui enlève le péché du monde ».

 

Voilà comme il connaissait bien Notre-Seigneur, et il n'y a point de doute qu'il ne chancela jamais en rien que ce fût, de la croyance et assurance qu'il avait de sa venue. Pourquoi donc, disent nos anciens Pères, étant en prison et entendant parler des grands prodiges et miracles que faisait notre divin Maître, envoie‑t‑il ses disciples pour savoir de lui qui il est ; si c'est lui qui doit venir ou s'ils en attendraient un autre ? Certes, tous sont admirables à démêler cette difficulté, et si je vous voulais rapporter la multitude et variété de leurs opinions sur ce sujet, il me faudrait employer beaucoup de temps qui nous détournerait de l’essentiel. Je m'arrêterai seulement à ce qu'en disent deux de nos plus grands Docteurs, à savoir Saint Hilaire (Comm. in Matt. ad cap.11, initio) et Saint Chrysostome (Hom. 36 in Matt.), qui ont le mieux rencontré, ce me semble, et ont visé droit au blanc de la vérité.

 

L’on n'interroge pas toujours pour savoir, disent ces saints Pères, ni  parce que l'on ignore ce que l'on demande, mais l'on fait des questions pour plusieurs autres causes et raisons ; car autrement la divine Majesté ne ferait jamais aucune question aux hommes, d'autant qu'elle sait tout et ne peut rien ignorer. Elle pénètre le plus intime du cœur, et n'y a rien de si secret et caché qui ne soit très clair et manifeste à cette divine Sagesse. C'est ce que dit  le royal Prophète David, grand et divin poète, dans l’un de ses psaumes : « Seigneur, vous avez de loin considéré mon sentier et mes voies ». Comme s'il disait :  bien que je sois fin comme un renard, vous avez néanmoins connu toutes mes finesses. J'ai été comme un cerf qui a couru et sauté par les fourrés les plus entourés de ronces et d'épines, mais vous êtes ce divin chasseur qui de loin avez remarqué mes pas et mes vestiges ; vous m'avez aperçu au lieu où j'étais, d'autant que vos yeux voient et pénètrent tout. Que ferai-je pour me cacher de vous ? Si je monte au Ciel vous y êtes, et là je vous trouverai beaucoup plus présent que moi même. Si, comme l'aube du jour et la belle aurore, je m'en vais courant sur les eaux, vous y serez plus tôt que moi. Je ne saurais échapper de devant votre face ; que ferai-je donc, o Seigneur ?

 

Mais encore que Dieu sache toutes choses, il n'a pas laissé de faire plusieurs questions aux hommes ; non point qu'il ignorât ce qu'il leur demandait, mais sa divine Providence l'a fait pour trois diverses causes. La première, afin de leur faire confesser leurs péchés, comme il fit alors qu’Adam eut transgressé son commandement. Il l'appela, lui disant : Ubi es? Adam, où es-tu ? et demanda à notre première mère, Eve, ce qu'elle avait fait . Ce n'était pas qu'il ne sût bien où était Adam et la désobéissance qu'il avait commise; mais le Seigneur l'interrogea à fin de lui faire avouer sa faute pour lui pardonner. Et le misérable, au lieu de la confesser, s'excusa sur sa femme , et fut pour cela châtié de Dieu, avec toute sa postérité. Une partie des Pères tiennent que s'il avait avoué son péché quand Dieu l'eut appelé, s'il avait frappé sa poitrine et dit : « j’ai péché » , le Seigneur lui eut pardonné et ne l'eut pas châtié par le fléau dont il le menaçait et par lequel il l’a puni lui-même et tous ses descendants. Mais d'autant qu'il ne le fit pas, nous sommes tous demeurés tachés du péché de nos premiers parents, et par conséquent sujets à la peine qu'il tire après lui.

 

Il est une seconde cause pour laquelle la divine Majesté  questionne les hommes  pour les éclairer ou instruire sur ce qui concerne les mystères de la foi, comme il fit à l'endroit des deux disciples qui allaient en Emmaüs. Apparaissant en pèlerin, il leur demanda de quoi ils parlaient. Les interrogeant et les éclairant sur le doute qu'ils avaient quant à sa résurrection. Il ne leur demanda donc point quels étaient leurs discours parce qu'il ignorait de quoi ils parlaient, mais bien à fin que, confessant leur ignorance et leurs doutes, ils pussent être instruits et éclairés.

 

La troisième cause pour laquelle l'on peut faire des demandes est pour provoquer l'amour. Par exemple, Marie-Madeleine, après la Mort et Passion de Notre Seigneur, s'en alla  oindre et embaumer son corps sacré  ; mais trouvant le monument ouvert elle pleura amèrement. Elle y vit deux Anges, lesquels la voyant pleurer lui dirent : «  Femme, pourquoi pleures-tu ? - Hé, dit-elle, parce qu'ils m'ont enlevé mon Seigneur et je ne sais  où ils l'ont mis. Puis, passant un peu plus avant, elle aperçut Notre Seigneur, sous la forme d’un jardinier, lequel lui demanda encore : « Femme, pourquoi pleures-tu ? que cherches-tu ? » Certes, ce n'était pas extraordinaire que les Anges fussent étonnés de voir pleurer Marie-Madeleine ni moins qu'ils lui en demandent 1a raison, car ils ne savent comment l'on pleure ; et, bien que d’un point de vue mystique, l'on dise que les Anges pleurent, la Sainte Ecriture s'exprime ainsi  pour représenter la terreur de quelque chose de formidable, car en effet ils ne pleurent point. Mais notre cher Sauveur, qui sait que la nature humaine est sujette aux larmes, ne laisse pas de s'enquérir de savoir pourquoi cette femme  pleure. Et pourquoi, Seigneur, le lui demandez-vous ? ne savez-vous pas parfaitement quelle est la cause de sa douleur et ce qu'elle cherche ? Certes, il le savait très bien ; aussi ce n'est point pour l'apprendre qu'il l'interroge, d'autant que toutes choses lui sont très claires et manifestes. Mais ce cher Sauveur de nos âmes pose de telles et semblables questions afin de produire des oraisons jaculatoires et des actes d'amour et d'union.

 

Voilà donc comme on ne demande pas toujours en ignorant, pour savoir ou apprendre, mais pour diverses autres causes. Aussi le glorieux saint Jean n'envoya pas ses disciples à Notre Seigneur pour savoir s'il était le Messie ou non, car il n'en doutait nullement, mais  bien pour trois raisons.

 

La première, pour le faire connaître à tout le monde. Il avait déjà tant prêché sa venue, ses merveilles et ses grandeurs, qu'il les envoya voir Celui qu'il leur avait annoncé. Certes, ce doit être le principal but de tous les docteurs et prédicateurs de faire connaître Dieu. Les maîtres et ceux qui gouvernent et ont charge des âmes ne doivent chercher ni procurer sinon que Celui qu'ils prêchent et au nom duquel ils enseignent soit connu de tous. C'était le désir de ce glorieux Saint. Le signe pour trouver Dieu et le connaître c'est Dieu même. A la naissance de notre Sauveur, les Anges allèrent trouver les pasteurs pour leur annoncer sa venue, chantant avec une mélodie merveilleusement agréable ces  paroles sacrées que l'Eglise répète si souvent Gloria in excelsis Deo. Mais lors qu'ils voulurent confirmer la merveille qu'ils leur faisaient entendre ils leur dirent : Allez le voir, et alors vous croirez et tiendrez pour certain ce que nous vous annonçons ; car il n'y a point de moyen ni de signe assuré pour trouver Dieu que Dieu même. C'est pourquoi notre glorieux Saint, après avoir longtemps prêché la venue de Notre Seigneur à ses disciples, les envoie maintenant à lui afin que non seulement ils le connaissent, mais encore qu'ils le fassent connaître aux autres.

 

La seconde cause pour laquelle il les manda fut parce qu'il ne les voulait pas attirer à lui mais à son Maître, à l'école duquel il les envoyait pour être instruits de sa propre bouche. Car que voulait-il signifier sinon, quoique je vous prêche et enseigne, ce n'est point pour vous attirer à moi, mais bien à Jésus-Christ duquel je suis la voix ; c'est pourquoi je vous adresse à lui. Sachez de lui s'il est le Messie promis ou si nous en devons attendre un autre. Comme s'il voulait dire : Je ne me contente pas de vous assurer que c'est Celui que nous attendons, mais je vous envoie afin que vous soyez instruits par lui . Certes, les docteurs et prédicateurs, les maîtres des novices et ceux qui ont charge d'âmes ne feront jamais rien qui vaille s'ils n'envoient leurs disciples et ceux qu'ils enseignent à l'école de Notre Seigneur, s'ils ne les plongent dans cette mer de science, s'ils ne les sollicitent et portent à rechercher notre cher Sauveur pour être instruits de lui. C'est ce que voulait dire le grand Apostre écrivant aux Corinthiens  : « Mes petits enfants, que j'ai conçus et gagnés à Jésus Christ parmi tant de peines, fatigues et travaux,  pour lesquels j'ai souffert tant de douleurs et de convulsions, je vous assure que je ne vous enseigne point pour vous attirer à moi, mais pour vous attirer à mon Seigneur Jésus Christ. »

 

Ces maîtres et ceux qui gouvernent les âmes qui, par leurs belles paroles, tâchent d'attirer à eux les disciples qu'ils enseignent et les âmes qu'ils gouvernent, ressemblent à ces païens, hérétiques et telles autres canailles de gens qui causent et babillent, et étant dans leurs chaires s'efforcent et donnent peine de faire de beaux discours, subtils et bien dits par merveille, non pour conduire les âmes à Jésus-Christ, mais à eux-mêmes. Ils les attirent à eux par leurs paroles et leur langage composé, ne se servant pour ce sujet que de la babillerie et caquetterie , et par ce moyen séduisent plusieurs esprits faibles. Au contraire, les serviteurs de Dieu ne prêchent et n'enseignent ceux qu'ils conduisent que pour les porter à Dieu, tant par leurs paroles que par leurs œuvres. C'est ce que fait aujourd'hui Saint Jean et ce à quoi tous les Supérieurs doivent bien prendre garde, car ils ne profiteront jamais qu'en portant et envoyant leurs disciples à Notre Seigneur pour savoir de Lui qui Il est, et apprendre à mieux le connaître et faire tout ce qu'il faut pour son amour et service. La troisième raison pour laquelle Saint Jean envoya ses disciples à Notre Seigneur était destinée  à les détacher de sa personne, de peur qu'ils commissent l’erreur de faire davantage état de  lui que du Sauveur ; car se plaignant à Saint Jean comme ils se plaignaient à Notre Seigneur : «  Maître, disaient-ils, toi et nous tes disciples, avec les Pharisiens nous jeûnons, nous sommes mal vêtus et faisons grande pénitence ; mais cet homme, ce grand Prophète qui opère tant de merveilles parmi nous ne fait pas ainsi . Ce qu'entendant Saint Jean, et voyant que l'amour et l'estime que ses disciples lui portaient se faisaient au mépris de Jésus-Christ, il les envoie à cette divine Majesté pour être instruits et informés de la Vérité.

 

Ce n'est donc pas que Saint Jean doutât en aucune façon que Notre Seigneur fût le Messie, qu'il lui envoya ses disciples lui faire une telle demande, mais pour leur bien et meilleur usage, pour le faire connaître à tout le monde, pour ne point les attirer à lui, mais pour les en détacher, afin que voyant les merveilles que Jésus Christ opérait, ils vinssent à en concevoir l'estime qu'il fallait. Il les traite comme des petits enfants, car pour lui il croit assurément qu'il est le Fils de Dieu, l'Agneau qui enlève le péché du monde . Il pouvait bien, par ses paroles, leur faire entendre cette vérité, mais il ne le fait pas, et ainsi les envoie à Notre Seigneur pour être instruits. Il pouvait les lui envoyer pour l'adorer et le reconnaître, mais tenant compte de leur faiblesse et infirmité, il les envoie seulement lui demander qui il est, et s'il est Celui qui doit venir ou s'ils doivent en attendre un autre. Certes, il faut que ceux qui gouvernent les âmes se fassent tout à tous, comme dit l'Apôtre, pour les gagner tous : qu'ils soient doux avec les uns et sévères avec les autres, enfant avec les enfants, forts avec les forts, faibles avec les faibles. En somme, ils ont besoin d'une grande finesse pour s'adapter à  chacun.

 

Saint Paul lui-même a merveilleusement pratiqué ceci, car il se faisait enfant avec les enfants, et pour cela il appelait les Chrétiens mes petits enfants . Il dit donc, écrivant aux Thessaloniciens : « Mes petits enfants, je me suis fait parmi vous comme un petit enfant, afin de vous gagner tous. J'ai marché au petit pas, et non point au pas de grand Apôtre, parce qu'étant petits enfants vous ne m'eussiez pu suivre ; mais je me suis adapté à votre faiblesse et ai cheminé avec vous comme un petit enfant. J'ai encore été au milieu de vous comme une mère nourricière: je vous ai donné du lait et vous ai nourris de viandes propres à votre petitesse.

 

Saint Chrysostome Evêque de Constantinople, qui certes est toujours admirable en tout ce qu'il écrit, mais particulièrement au sujet de cet Apôtre, dit en commentant une parole de l'Epître aux Hébreux  (je ne sais toutefois si je pourrai bien le rapporter): chose admirable, ce grand Apôtre était parmi ses Corinthiens comme une mère nourricière parmi ses enfants : il les nourrissait de viandes simples, douces et propres aux petits enfants. Au contraire, lors qu'il écrivait aux Hébreux, c'était avec une doctrine si profonde, un style si relevé qu'il ne se peut rien trouver de semblable. Si vous voulez voir saint Paul parmi ses Corinthiens, regardez une mère qui aurait cinq ou six petits enfants qui l'environnent. Voyez, je vous prie, l'industrie de cette femme, comme elle sait donner à  chacun ce qui lui appartient, et le traiter selon la portée de son esprit. A celui qui n'a qu'un, deux ou trois ans, elle donne du lait, elle lui parle en se jouant, en bégayant, et ne lui laisse pas dire mon père ni ma mère, car il est encore trop jeune, mais elle lui fait dire papa et maman, parce qu'étant petit il ne peut encore prononcer le nom de père et de mère. Aux autres qui ont quatre ou cinq ans, elle  commence à leur apprendre à mieux parler, à manger des viandes un peu plus grossières ; et ceux qui sont un peu plus grands elle les éduque à la civilité et à la modestie.

 

Or, écrit ce saint Père , lorsque le grand Apôtre dit : « Je suis avec vous comme une mère nourricière », que veut-il signifier sinon qu'il fait à l'endroit de ses disciples ce qu'une mère nourricière fait à l'endroit de ses enfants ? Il est certes nécessaire que ceux qui gouvernent les âmes aient un grand discernement pour savoir toutes les conduire comme il convient, selon leur capacité et portée. Il faut qu'ils usent d'une grande discrétion pour leur donner la pâture de la parole de Dieu au temps convenable et propre à bien la recevoir ; discernement encore pour donner à chacun selon ses besoins et de la manière la plus ajustée. Et que l'on ne dise point : Vous ne me parlez pas tant pour ma perfection qu'à celui là. Je crois bien, vous n'avez point encore de dents ! Ne voyez-vous pas que si l'on vous donnait les mêmes pratiques qu'on conseille aux autres vous ne pourriez les mâcher ? Oh, il me semble que j'aie assez de dents, dites-vous. Mais certes, vous en aurez d'autant moins que vous croyez en avoir davantage. Et bien, laissez-vous donc gouverner par autrui. Et voilà mon premier point.

 

La seconde partie de notre Evangile c'est la réponse que Notre Seigneur fit aux disciples de Jean. Quelques docteurs philosophant sur cette réponse s'en émerveillent. Dites à Jean ce que vous avez vu et ce que vous avez entendu : les aveugles voient, les sourds entendent, les boiteux marchent droit, les ladres sont guéris, les morts ressuscitent, les pauvres sont évangélisés.

 

(Il compte ici comme un miracle que les pauvres sont évangélisés.) Ces docteurs disent que le Sauveur n'opéra pas beaucoup de prodiges devant les disciples de Saint Jean, mais que les Apôtres leur rapportèrent ceux qu'Il avait faits. II est très certain que les Apôtres avaient  grand plaisir à raconter à ces deux disciples les œuvres admirables de leur bon Maître ; mais Notre Seigneur ne laissa pas pourtant de faire beaucoup de miracles en leur présence, c'est pourquoi il leur répond : Dites à Jean ce que vous avez vu et entendu.

 

Quelques uns de nos anciens Pères, je veux dire saint Hilaire et saint Chrysostome , s'arrêtent sur cette réponse que Notre Seigneur fit lorsqu'on lui demanda qui il était. Vous me demandez si je suis ce grand Prophète, le Messie promis, Celui qui tonne dans les cieux et qui doit venir briser la tête de l'ennemi. Or, je vous réponds : Dites ce que vous avez vu et entendu. O admirable humilité de notre cher Sauveur qui vient pour confondre notre orgueil et détruire notre superbe! On lui demande : Qui es-tu ? Et il ne répond autre chose sinon : dites ce que vous avez vu et entendu, pour nous apprendre que ce sont nos œuvres et non point nos paroles qui rendent témoignage de ce que nous sommes, et que nous sommes pleins d'orgueil.

 

En ce siècle, si l'on demande à un gentilhomme : Qui êtes-vous ? O Dieu, il faut prendre ce mot au point d'honneur et s'en couper la gorge sur le pré. Qui êtes vous ? Il faut faire voir de quelle extraction, de quelle race, il faut faire paraître les lettres de noblesse, que sais-je, moi? telles folies et niaiseries; il faut examiner si ses ancêtres sont descendus d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Certes, il n'est besoin de faire montre de toutes ces bagatelles pour prouver que vous êtes gentilhomme. Mais quand on vous fait cette question : Qui êtes-vous? il faudrait pouvoir répondre : Dites que vous avez vu un homme doux, cordial, humain, protecteur des veuves, père des pupilles et orphelins, charitable et clément envers ses sujets. Si vous avez vu et entendu cela, dites assurément que vous avez trouvé un bon gentilhomme. Si vous vous adressez à un Evêque : Qui êtes-vous ? il devrait pouvoir se rendre ce témoignage : Dites que vous avec vu un homme qui fait bien et dûment sa charge ; et alors assurez-vous qu'il est vraiment Evêque. Si à une Religieuse : Qui êtes-vous ? Si vous avez vu une Religieuse exacte et ponctuelle en l'observance de ses Règles, répondez alors qu'elle est vraiment religieuse. En fin, ce sont nos œuvres ou bonnes ou mauvaises qui nous font ce que nous sommes, et c'est par celles-ci que nous devons être reconnus.

 

Ne vous contentez donc pas lorsqu'on vous interroge vous disant : Qui êtes-vous ? de répondre comme les petits enfants au catéchisme : Je suis Chrétien ; mais vivez de telle sorte que l'on puisse ajouter qu'on a vu un homme qui aime Dieu de tout son cœur, qui garde les commandements de la Loi, qui fréquente les Sacrements, et telles autres choses dignes d'un vrai Chrétien. Ce n'est pas que je veuille entendre que quand on nous demande qui nous sommes il ne faille dire que l'on est Chrétien. O non certes, c'est le plus beau titre que nous nous puissions donner, et j'ai toujours eu une particulière dévotion à cette grande Sainte Blandine, qui fut martyrisée à Lyon et dont Eusèbe rapporte la vie . Cette Sainte donc, parmi les grands tourments qu'on lui faisait souffrir alors qu'on la martyrisait, allait doucement répétant : Je suis Chrétienne, se servant de ce mot comme d'un baume sacré pour guérir toutes ses plaies. Mais je veux dire qu'il ne suffit pas de se nommer Chrétien, si l'on ne fait les œuvres de Chrétien. Car en fin qui sommes-nous ? Un peu de poudre et de cendre . Disons donc librement que nous ne sommes rien, que nous ne pouvons ni ne savons rien. C'est une grande misère qu'étant ce que nous sommes nous voulons néanmoins paraître, et marchons sur la pointe des pieds à fin de nous faire voir à tout le monde. Mais hélas, que verra-t-on quand on nous verra? Un peu de poussière et un corps qui sera bientôt réduit en corruption.

 

Dites à Jean que les aveugles voient. O Dieu, quel plus grand aveuglement que le nôtre ! Bien que  pleins d'abjection et de misère, nous voulons cependant être estimés ! Qui nous aveugle de la sorte sinon notre amour propre lequel, outre qu'il soit aveugle de soi- même, aveugle encore celui en qui il demeure? Ceux qui ont peint Cupidon lui ont bandé les yeux, disant que l'amour est aveugle. Ceci se doit bien plus entendre de l'amour propre qui n'a point d'yeux pour voir son abjection et le néant d'où il est sorti et de quoi il est pétri. Certes, c'est une grande grâce quand Dieu nous donne sa lumière pour connaître notre misère, et c'est un signe de la conversion intérieure. Celui qui se connaît bien   ne se fâche point si on le tient ou qu'on le traite pour ce qu'il est, d'autant qu'il a reçu cette lumière qui l'a rendu quitte de son aveuglement.

 

Les boiteux vont droit. Soit que les infirmes dont parle Notre Seigneur fussent boiteux des deux cotés ou d'un seulement, cela n'importe guère ; mais la plupart de ceux qui vivent en ce monde sont boiteux des deux côtés. Nous avons tous deux parties qui sont comme les deux jambes sur lesquelles nous marchons, à savoir, l'irascible et la concupiscible ; et quand ces deux parties ne sont pas bien réglées ni mortifiées elles rendent l'homme boiteux. La partie concupiscible convoite des biens, des honneurs, des dignités et prééminences, des voluptés et mignardises ; ce qui fait que l'homme devient cupide, avaricieux, et par ce moyen il cloche de ce côté là. Il y en a qui ne sont pas avaricieux, mais ils ont la partie irascible si forte que lors qu'elle n'est pas bien soumise à la raison ils se troublent et ressentent vivement les moindres choses qui leur sont faites ; ils s'élèvent et recherchent toujours des inventions pour se venger d'une petite parole ou d'un petit tort qui leur aura été fait. Or, de quel côté qu'elle se tourne, soit au bien, soit au mal, cette partie est très forte ; mais quand elle se tourne du côté du mal on a peine à la redresser. Il s'en trouve beaucoup qui ont les deux parties gâtées , et ceux ici boitent des deux côtés ; les autres ne clochent que d'un seul. Notre Seigneur est venu pour redresser les boiteux ; il est venu pour les faire marcher droitement devant sa face en l'observance de ses commandements . Aussi ajoute-t-il : « Dites à Jean que les boiteux marchent droit.

Les lépreux sont guéris. Il y a un grand nombre de lépreux parmi le monde. Ce mal n’est autre qu’une certaine langueur et tépidité au service de Dieu. L'on n'a pas la fièvre ni quelque grande maladie dangereuse, mais le corps est tellement entaché de cette lèpre qu'il en est tout faible et abattu ; je veux dire que l'on n'a pas de grandes imperfections et qu'on ne fait pas de grandes fautes, mais on en commet tant de petites et l'on fait tant de petits manquements que le cœur en demeure tout langoureux et affaibli. Et la plus grande de toutes les misères c'est qu'en cet état l'on ne saurait nous toucher sans nous piquer jusqu’au cœur. Certes, ceux qui sont entachés de cette lèpre ressemblent proprement aux petits lézards, animaux vils et abjects, les plus faibles et imbéciles de tous ; néanmoins, avec toute leur faiblesse et infirmité, pour peu qu'on les touche ils se retournent pour mordre. Ainsi font ces lépreux spirituels : quoiqu'ils soient tout couverts d'un nombre infini de petites et menues imperfections, ils sont si hautains qu'ils ne veulent point qu'on les voit ni moins qu'on les touche, et pour peu que vous les repreniez ils se retournent pour vous mordre.

 

Les sourds entendent. Il y a une surdité spirituelle qui est bien dangereuse. C'est je ne sais quelle vaine complaisance en soi-même et en ses actions laquelle fait qu'il nous semble n'avoir plus besoin de rien. On ne se soucie pas d'entendre prêcher la parole de Dieu, de lire des livres dévots, d'être repris ni corrigé ; on s'amuse à des niaiseries et l'on se met en grand péril, car, comme c'est un très bon signe quand une personne écoute volontiers la divine parole, aussi en est-ce un mauvais quand elle en est dégoûtée et pense n'en avoir plus besoin.

 

Les morts sont ressuscités. C'est cette parole sacrée qui ressuscite les morts ; c'est en écoutant les prédications que l'on reçoit de bons mouvements, que l'on passe du péché à la grâce ; c'est aussi par le moyen de la lecture que le cœur est vivifié et prend toujours nouvelle force et vigueur.

 

Les pauvres sont évangélisés. Quelques uns disent : les pauvres évangélisent. Or, soit qu'il se doive entendre ainsi ou autrement, c'est quasiment une même chose ; mais j'aime mieux m'en tenir au texte de notre Evangile et dire avec Notre Seigneur que les pauvres sont évangélisés. Certes, les disciples de Saint Jean ne trouvèrent pas Notre Seigneur parmi les princes et premiers du monde, mais avec les pauvres, lesquels l'écoutaient et le suivaient partout où il allait. Ce cher Sauveur de nos âmes était venu pour les pauvres et prenait un singulier plaisir d'être avec eux. O Dieu, avec quelle douceur les enseignait-il ! Combien ne s’adaptait-il pas  à leur ignorance ! Il se faisait tout à tous pour les sauver tous . Il repose son Esprit sur les pauvres et sur les humbles, car la pauvreté engendre l'humilité. Il réfute les cœurs altiers et orgueilleux et se communique aux simples ; il leur ôte leur esprit grossier et pesant et leur donne le sien par lequel ils opèrent de grandes choses, et par ce moyen il confond les choses hautes et relevées par des choses basses et simples . Aussi pouvons-nous dire avec vérité que non seulement les Pauvres sont évangélisés mais qu'ils ont évangélisé, Dieu se servant d'eux pour porter la vérité par tout le monde.

 

Il est vrai que notre cher Sauveur et Maître était bien venu pour enseigner aux grands et petits, doctes et ignorants, néanmoins on l'a quasi toujours trouvé parmi les pauvres et simples. O que l'Esprit de Dieu est différent de celui du monde qui ne fait cas que de l’apparence et de l’éclat ! Les anciens philosophes ne voulaient recevoir en leurs écoles que ceux qui avaient un bel esprit et un bon jugement ; que s'ils ne les rencontraient pas tels ils disaient librement : ce n'est pas là un tableau propre pour mon pinceau. Et nous voyons encore  aujourd'hui combien ceux qui ont l'esprit grossier sont méprisés des hommes de ce siècle, combien l'on se fâche et s’ennuie en leur conversation. On ne prend plaisir que d'être parmi les beaux esprits encore qu'ils soient hautains, fiers et superbes, n'importe, l'esprit du monde supporte bien cela. Mais l'Esprit de Dieu fait tout le contraire ; il rejette les superbes et converse avec les humbles, et Notre Seigneur met ceci au nombre des miracles : » dites à Jean que les pauvres sont évangélisés. »

 

Puis il ajoute : « Bienheureux celui qui ne se scandalisera point en moi ». Mais quoi, que dites-vous, Seigneur ? Comme se pourrait-il faire que vous voyant opérer tant de prodiges, vous voyant exercer les œuvres d'une si grande charité et miséricorde, l'on puisse se scandaliser ? « Je serai, dit le Seigneur, l'opprobre des hommes et le rebut du peuple; je serai scandale aux juifs et pierre de trébuchement aux Gentils ».

 

« Mais bienheureux celui qui ne se scandalisera point en moi; car, moi qui suis ici, faisant de grands miracles au milieu de vous, je dois être crucifié et attaché à une croix » ; et de cela, plusieurs se scandaliseront. Oh ! bienheureux ceux qui ne se scandaliseront point des opprobres et ignominies de Notre Seigneur, lorsqu'ils le verront objet du rejet et de la risée du monde ; bienheureux ceux qui pendant cette vie se crucifieront avec lui, méditant sa Passion et portant en eux sa mortification.

 

Certes, il faut tous passer par là. Il se faut attacher à la Croix de notre Sauveur, la méditer, et porter en nous sa mortification. Il n'y a point d'autre chemin pour aller au Ciel, Notre Seigneur y a passé le premier. Tant d'extases, tant d'élévations d'esprit, tant d'élancements et ravissements que vous voudrez ; ravissez même, si vous le pouvez, le cœur du Père éternel ; si avec cela vous ne demeurez en la Croix du Sauveur et ne vous exercez en la mortification de vous- même, je vous dis que tout le reste n'est rien, qu'il s'en ira tout en fumée et vanité, et vous demeurerez vides de tout bien, sujets et disposés à vous scandaliser avec les juifs de la Passion de Notre Seigneur. En somme, il n'y a point d'autre porte pour entrer au Ciel que l'humiliation et la mortification.

 

J'achève. Les disciples donc s'en retournèrent rapporter à Saint Jean ce qu'ils avaient vu et entendu. O Dieu, quels pensez-vous qu'étaient les cœurs de ces bons disciples ? Combien doux et pleins d'une grande consolation ! Qu'il leur tardait d'être près de leur Maître pour lui dire ce qu'ils avaient vu et entendu. Qu'ils étaient remplis de grandes lumières et connaissances touchant la venue de Notre Seigneur! Qu'ils allaient doucement s’ entretenant de ces grands miracles et merveilles qu'il avait faits en leur présence, et des choses qui leur avaient été racontées par les Apôtres ! Comme ils furent sortis, le Sauveur se tourna du côté du peuple qui l'environnait et leur dit : Qui êtes-vous allés voir au désert ? Peut être que vous y aurez vu un roseau exposé aux orages et tempêtes, ou bien un rocher immobile au milieu de la mer? (De même peut-on dire : Qui avez-vous vu au désert, ou en Religion ? car désert signifie Religion, et la Religion n'est autre chose qu'un désert.) Donc, qui êtes-vous allés voir ? Peut être y aurez-vous trouvé des roseaux ? O non, Saint Jean n'est point un roseau, car il est demeuré ferme comme un rocher au milieu de toutes les vagues et tempêtes des tribulations.

 

Mais pourquoi Notre Seigneur ne loue-t-il pas son Précurseur en la présence de ses disciples ? Nos anciens Pères disent que ce fut pour deux raisons. La première, parce que ces bons disciples étaient trop attachés à leur maître ; ils en étaient tout en œuvre, et l'estime qu'ils en avaient était si grande qu'ils l'avaient préféré à Jésus Christ, lors qu'ils lui dirent : « Toi et nous tes disciples nous jeûnons et faisons de grandes pénitences, mais ce Prophète qui est parmi nous n'en fait pas. Ainsi ils aimaient grandement Saint Jean et n'avaient pas besoin que Notre Seigneur le louât devant eux, car il y avait danger qu'ils ne vinssent à le surestimer au Sauveur. Voilà pourquoi cette divine Sagesse ne dit rien de lui en leur présence.

 

L'autre raison réside en ce que notre divin Maître n'était point flatteur. S'il eût alors loué Saint Jean on eût pu juger qu'il le faisait par flatterie, cela pouvant lui être rapporté par ses deux disciples ; ce qui était grandement éloigné de l'esprit de notre cher Sauveur qui est la Vérité même. L'esprit humain eût pu fournir quelque chose là dessus ; c'est pourquoi, lui qui est clairvoyant, sachant ce qui en pouvait arriver, ne le loua point en la présence de ses disciples. Mais quand ils furent partis, il dit aux juifs : Qui êtes-vous allés voir au désert ? Considérez cet homme que vous avez vu, ou plutôt cet ange revêtu d'un corps humain. Vous n'avez point trouvé un roseau, mais un rocher ferme, un homme d'une égalité admirable parmi la variété des divers accidents ; vertu la plus agréable et désirable qui soit en la vie spirituelle.

 

Vous n'avez point vu un roseau, car Saint Jean est tel en l'adversité qu'en la prospérité ; tel dans la prison parmi les persécutions que dans le désert parmi les applaudissements ; autant joyeux en l'hiver de l'adversité qu'au printemps de la prospérité ; il fait les mêmes fonctions en la prison qu'il faisait au désert.

 

Nous autres, au contraire, sommes variables, nous allons selon le temps et la saison. Il se trouve des personnes si bizarres qui, lors que le temps est beau ,il n'y a rien de si joyeux, et quand il est pluvieux, rien de si triste. Tel est fervent, prompt, gai en la prospérité, qui en l'adversité sera faible, abattu et déstabilisé ; il faut employer le ciel et la terre pour le remettre, et pour l'ordinaire tout cela ne sert de rien. Vous en verrez d'autres qui veulent la prospérité parce qu'en ce temps ils font des merveilles, ce leur semble. D'autres aiment mieux l'adversité; la tribulation, disent-ils, les fait mieux retourner à Dieu. Enfin nous sommes variables et ne savons ce que nous voulons. Il y en a d'autres que l’ on ne  peut retenir quand ils sont joyeux, et quand ils sont tristes on ne les saurait consoler. Quand on fait tout ce qu'ils désirent, qu'on écoute tout ce qu'ils disent, qu'on ne les contrarie en rien, ô Dieu, ils sont si braves et font des merveilles ; mais si on les touche, qu'on les contrarie tant soit peu, tout est perdu. Il faut tant d'affaires pour nous bien faire prendre une parole qui n'est pas selon notre gré, que par après l'on ne peut apaiser ce cœur ; il y faut appliquer tant d'emplâtres !

Mon Dieu, quelle pitié, et quelle bizarrerie est la nôtre ! O non certes, il n'y a point d'égalité parmi nous, et toutefois c'est l'une des choses les plus nécessaires qui soient en la vie spirituelle. Nous sommes des roseaux qui nous laissons emporter à toutes nos humeurs.

 

Mais je veux achever en disant du glorieux saint Ambroise, duquel nous commencerons cette nuit à célébrer la fête, ce que Notre Seigneur dit de saint Jean-Baptiste : » Vous n'avez point vu un roseau dans le désert. Vous lui devez une particulière dévotion, car il a été le père spirituel de saint Augustin, lequel raconte en ses Confessions  comme non seulement les doctes prédications de ce grand Saint, mais encore sa douceur et bonté lui ravit le cœur. Il était français, c'est à dire il naquit en France, bien que saint Augustin le trouvât à Milan. Il est rapporté en sa Vie qu'étant encore petit enfant dans le berceau, un essaim d'abeilles vint se reposer et faire du miel sur ses lèvres, présage de sa future douceur et mansuétude. Si nous demandons à ce glorieux Saint : Tu quis es  ? Qui es-tu ? Il nous sera sans doute répondu : Dites ce que vous avez vu et entendu. Dites que vous avez vu un homme doux, charitable et zélé pour la gloire de Dieu ; un vigilant pasteur, enfin un homme accompli en toutes vertus et qui s'acquittait soigneusement de tous les devoirs de sa charge, ayant les deux portions de l'âme si bien réglées qu'il n'avait point de haine que pour le péché ni d'amour que pour la dilection de notre cher Sauveur.

 

Toutefois, bien que grandement doux et clément, il était fort sévère à punir et reprendre  si besoin était, sans se laisser fléchir par aucune considération quelle qu'elle fût. Quel zèle ne fit-il pas paraître par la façon dont il traita l'empereur Théodose, lui refusant l'entrée de l'église et lui parlant avec une sévérité admirable, sans jamais renoncer jusqu’ à ce qu'il eût reconnu sa faute. Et quand on lui représentait que c'était un empereur à qui il s'en prenait, combien ne témoignait-il pas par ses paroles, qu'il n'avait égard qu'à la gloire de Dieu ! Que ne dit-il pas à ceux qui, sur ce sujet, lui représentaient la faute de David ! Eh bien, répondait-il, vous me parlez de la faute de David, mais vous ne m'alléguez rien de sa pénitence. Si l'Empereur veut la faire comme lui, les portes de l'église lui seront ouvertes, autrement non. Et il montra bien que, sans avoir égard ni à roy ni à empereur, il demeurerait ferme à exercer ce qui était de sa charge. Dites donc ce que vous avez vu et entendu; car la renommée de ce grand Saint s'étendait partout, de telle manière que des gens doctes et  d’expérience  venaient de fort loin pour entendre sa doctrine.

 

Voilà comme il est vrai que l'homme se connaît par ses œuvres. Que si nous voulons savoir qui nous sommes, il nous faut regarder quelles sont nos œuvres, reformant ce qui n'est pas bien et perfectionnant ce qui est bon, à fin qu'imitant ces deux glorieux Saints en leurs vertus, nous jouissions avec eux de la gloire là-haut au Ciel. Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit.

 

Amen.