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Sermon de saint François de Sales pour le mardi de Pâques

12 avril 1594

Tome VII, page 166

La joie fut sans doute bien grande en l’arche de Noé, quand la colombe, peu auparavant sortie comme pour expier l’état auquel était le monde, revint en fin Portant en son bec le rameau d’olive, signal bien assuré de la cessation des eaux (Gen., VIII, 10-11), et que Dieu avait redonné au monde le bonheur de sa paix. Mais, Ô Dieu, de quelle joie, de quelle fête, de quelle allégresse fut ravie la troupe des Apôtres, quand ils virent revenir entre eux la sainte humanité du Rédempteur après la résurrection, portant en sa bouche l’olive d’une sainte et agréable paix : La paix soit avec vous[1], et leur montrant les marques et signes indubitables de la réconciliation des hommes avec Dieu : Et il montra ses mains et ses pieds[2] (Lc., XXIV, 40). Sans doute que leurs âmes furent alors pleinement remplis de consolation : Les disciples se réjouirent à la vue du Seigneur[3] (Jn., XX, 20). Mais cette joie ne fut pas le principal fruit de cette sainte vue ; car leur foi vacillante fut affermie, leur espérance épouvantée fut assurée, et leur charité presque éteinte fut allumée. C’est le discours que j’ai entrepris, mais que je ne puis bien faire, ni vous, bien écouter, si le Saint Esprit ne nous assiste. Invoquons le donc, et pour mieux l’invoquer, employons y l’entremise de la Sainte Vierge. Ave Maria.

Maintenant demeurent ces trois choses, foi, espérance et charité ; mais la plus grande de celles-ci est la charité.[4] (I.Cor., XIII, 13)

La foi pour l’entendement, l’espérance pour la mémoire, la charité pour la volonté. La foi honore le Père, car elle s’appuie sur la toute puissance ; l’espérance honore le Fils, car elle est fondée sur sa rédemption ; la charité honore le Saint Esprit, car elle embrasse et chérit la bonté. La foi nous montre la félicité, l’espérance nous y fait aspirer, la charité nous met en possession. Elles sont nécessaires, mais maintenant ; car au Ciel, il ne demeure que la charité. La foi n’y entre point, car on y voit tout ; l’espérance encore moins, car on y possède tout ; mais la seule charité y a lieu, pour aimer en tout, par tout et du tout notre Dieu. Elie laisse tomber son manteau (II. Reg., II, 12-13) : le manteau de la foi et le voile d’espérance ne montent point au Ciel, mais ils demeurent en terre, ou ils sont nécessaires. Notre Seigneur ne fait autre chose que nous bien enseigner ces trois leçons : comme il faut croire, espérer et aimer ; mais sur tout en ces quarante jours durant lesquels il conversa après sa résurrection avec ses Apôtres (Act., I, 3), et plus particulièrement en l’apparition récitée aujourd’hui.

Et pour commencer, les disciples étaient assemblés en un cénacle et avaient fermé les portes sur eux, de peur des Juifs[5] (Jn., XX, 19) ; le Sauveur entre, les salue et leur montre [ses mains] et ses pieds (Lc., XXIV, 40). Pourquoi cela ?

La Foi

Pour établir leur foi. Hélas, que leur foi était ébranlée ! La pauvre Magdeleine le va cherchant parmi les morts pour l’embaumer, et croit qu’on l’a dérobé (Mc., XVI, 1 ; Lc., XXIV, 5, 10 ; Jn., XX, 2, 13, 15) ; les Apôtres sont tels, que ce récit leur parut un vain songe, et ils ne les crurent point, c’est à dire les dames qui l’avaient appris des Anges (Lc., XXIV, 6, 11) ; les deux pèlerins disent : Nous espérions[6] (Ibid., 21) ; le grand saint Thomas crie : Je ne croirai point[7] (Jn., XX, 25). Pour donc étayer cette foi, laquelle menaçait sa ruine, il vient et leur dit : La paix soit avec vous[8], et leur montre son corps. Mais comment peut il se faire qu’ils croyaient, puisqu’ils ont vu et touché[9]. Le sens a fait comme le fourrier qui loge un autre et n’y demeure pas ; car il a logé la foi dans le cœur des Apôtres et dans les nôtres, et néanmoins n’y demeure plus en crédit, car la foi étant arrivée, le sens cesse, comme l’aiguille introduit la soie, etc.

Mais quels articles sont établis ? De l’identité des corps en la résurrection : Dans ma chair je verrai Dieu mon Sauveur ; je serai de nouveau environné de ma peau.[10] (Job., XIX, 26).Car c’est bien moi.[11] (Lc., XXIV, 39). Ô article admirable, et lequel étant bien cru, nous sommes bons Chrétiens, car nous en tirerons aisément ces conséquences : donc je ne profanerai pas ce corps ; donc, En un clin d’œil, au son de la dernière trompette nous ressusciterons.[12] (I.Cor., XV, 51-52). Pourquoi in prima tuba ne comparaitra le même corps ? Si le Christ n’est pas ressuscité, notre foi est vaine.[13] (Ibid., 14, 17). De la qualité des corps, qui suivront les mouvements de l’âme comme les vêtements. Le corps aggrave l’âme (Sap., IX, 15), l’âme rendra le corps léger. Le bon David ne savait se remuer dans les armes de Saül (I. Reg., XVII, 39) ; pendant que notre âme est chargée du cors mondain, elle ne se peut bien mouvoir. Voyez : Ils croyaient voir un esprit.[14] (Lc., XXIV, 37). Avec la Magdeleine, jardinier (Jn., XX, 15) ; avec les pèlerins, pèlerin (Lc., XXIV, 15) ; avec les pécheurs, pécheur (Jn., XXI, 4-7). Tantôt il est vu, tantôt il entre les portes fermées (Ibid., XX, 19-26). Il est mis en terre comme un corps animal, il ressuscitera spirituel.[15] (I.Cor., XV, 44) ; Comme l’aigle qui ne peut pas voler, que lorsqu’il a renouvelé sa jeunesse ; les rabbins, Genebrard sur ce lieu.[16] (Ps., CII, 5). Que feront ceux qui sont baptisés pour les morts ? Pourquoi sont ils baptisés pour eux ? Et nous, pourquoi nous exposons nous à toute heure à tant de périls ? Chaque jour je meurs pour votre gloire que j’ai dans le Christ Jésus, Notre-Seigneur. Que me sert d’avoir combattu contre les bêtes à Ephèse, si les morts ne ressuscitent point ? Mangeons, buvons, demain nous mourrons.[17] (I.Cor., XV, 29-32).

L’espérance.

Hélas, leur espérance était faible : Nous espérions.[18] (Lc., XXIV, 21) Ils craignaient ; l’espérance est contraire a la crainte : S’affligeant et pleurant, dit saint Marc (Mc., XVI, 10). C’est grand cas que d’être séparé de Dieu ; on est timide, on perd la force : tels étaient les Apôtres, telle la Magdeleine. Comme un navire dans l’orage et la tempête, sans matelot ni pilote, s’en va au bris ou le vent le porte, telle était cette pauvre barque sans espérance : Ephraïm est devenu comme une colombe séduite n’ayant pas de cœur.[19]( Osée., VII, 11). Ô je ne voudrais pas que nous fussions sans espérance, mais je voudrais bien que nous pleurassions quand nous perdons Dieu. Le cerf (Ps., XLI, 1, 3), etc. Mais Notre Seigneur vient apporter le secours en cette place assiégée de crainte : Voyez mes mains et mon côté.[20] (Lc., XXIV, 39). Avez-vous besoin de force, voici mes mains (Habac., III, 4) ; aves vous besoin de cœur, voici le mien ; êtes-vous colombelle, voici des trous (Cant., II, 14) ; êtes-vous des malades, voici la médecine : Et la mort a été absorbée. dans la victoire.[21] (I.Cor., XV, 54).  ; estes vous captifs, voici le rachat.[22] (Is., LXI, 1 ; Lc., IV, 9). Ah, comme pourrions nous craindre ? Le voici qui vient, observant au travers des barreaux, regardant par les fenêtres.[23] (Cant., II, 8-9).

La charité.

Si la femme peut oublier le fils qu’elle a porté dans son sein ; si même elle l’oubliait, moi je ne t’oublierai point ; car voici que je t’ai écrit dans mes mains.[24] (Is., XLI, 15) ; Il prend nos misères et les ennoblit ; il applique notre misère sur son cœur (Job., VII, 17) : il montra son côté (Jn., XX, 20). Mais rendons lui amour pour amour. Autrement, Celui qui nous montre ses plaies par amour, les montrera un jour dans sa colère et son indignation : comme les images qui ont une femme à droite, la mort à gauche, à droite un agneau, à gauche un lion ; comme les abeilles qui font le miel et qui piquent douloureusement[25]. En videte illusores, moqueurs, gausseurs, impudents, videte manus, etc. Ils verront Celui qu’ils ont transpercé (Zach., XII, 10 ; Jn., XIX, 37), et les tribus pleureront leur malheur.[26] (Apoc., I, 7) ;

Faites, ô bon Jésus, que nous recevions la paix que vous nous offrez et e nous voyions vos plaies. Et comme la foi, l’espérance et la charité demeurent (I.Cor., XIII, 13), faites que, enracinés dans la foi (Eph., III, 17 ; Col., II, 7), joyeux dans l’espérance et fervents dans la charité (Rom., XII, 10-12), nous attendions votre avènement, bienheureux objet de notre espérance (Tit., II, 13). Faites qu’en ce grand jour, placés à votre droite, nous voyions en vous un agneau et non pas un lion, comme ceux qui seront placés à votre gauche ; Que la claire vue remplace pour nous la foi, que la possession remplace l’espérance, et qu’à notre charité imparfaite succède une charité parfaite, en laquelle nous nous réjouissions dans les siècles des siècles. Ainsi soit il[27]


 

[1] Pax vobis.

[2] Et ostendit eis manus et pedes

[3] Gavisi sunt discipuloviso Domino

[4] Nunc autem manent fides, spes, charitas.

[5] propter metum Judoeorum.

[6] Sperabamus.

[7] Non credam.

[8] Pax vobis.

[9] Saint Grégoire Le Grand, Homilia XXVI in Evang., § 8.

[10] In carne mea videbo Deum Salvatorem meum ; rursum circumdabor Pelle mea.

[11] Quia ego ipse sum.

[12] in ictu oculi, in novissima tuba resurgemus.

[13] Si Christus non resurrexit, inanis est fides nostra.

[14] Existimabant se spiritum videre.

[15] Seminatur corpus animale, resurget spiritale.

[16] quoe volare non potest, sed ubi renovavit juventutem suam ;... ad eum locum.

[17] Quid facient qui baptizantur pro mortuis ? ut quid baptizantur pro illis ? Ut quid et nos periclitamur omni hora ? Quotidie morior Propter gloriam vestram, quam habeo in Christo Iesu Domino nostro. Si ad bestias pugnavi Ephesi, quid mihi prodest, si mortui non resurgunt ? Manducemus, bibamus, cras moriemur.

[18] Sperabamus.

[19] Factus est Ephraim velut columba seducta non habens cor.

[20] Videte manus meas et latus Meum.

[21] Et absorpta est mors in victoria.

[22] Estis captivi, en redemptio.

[23] Ecce iste venit, prospiciens per cancellos, respiciens per fenestras.

[24] Si mulier oblivisci potest filii ventris sui ; sed etsi oblita fuerit, non obliviscar tui : ecce enim in manibus meis descripsi te.

[25] Fert nostras miserias et eas nobilitat ; apponit miseriarn nostrarn cordi suo : ostendit latus. Sed eum redamemus ; alioquin qui præ amore ostendit vulnera, semel ostendet præ ira et indignatione : ut imagines quae ad dextrarn fœminam, ad lœvarn mortem, ad dextrarn agnum, ad lævam leonem ; ut apes quae mel faciunt, et acriter pungunt.

[26] Videbunt in quem transfixerunt, et plangent super se tribus.

[27] Fac, o bone Jesu, ut pacem quarn offers, accipiamus, videamusque vulnera tua ; ut quandoquidem manent fides, spes, charitas,.fide radicati, spe gaudentes, et charitate ferventes, expectemus beatam spem et adventum tuum ; ita ut in illo te agnum ad dextram, non leonem ad sinistram videamus, ac pro fide visionem, pro spe possessionem, et pro charitate imperfecta perfectam habeamus, in qua gaudebimus in saecula saeculorum. Amen.