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Sermon pour la fête de Saint Jean devant la Porte Latine

6 mai 1616 ou 1617

 

La sainte Eglise célèbre aujourd’hui l’une des fêtes du glorieux saint Jean l’Evangéliste. Je remarque que l’Evangile (Mt., XX, 20-23) raconte les imperfections et péchés de ce bienheureux Saint, et l’une de ses plus grandes tares, qui est, comme l’on tient, son ambition et présomption, au lieu de raconter ses perfections, vertus et excellences ; au lieu de le louer et exalter, il semble qu’il le blâme et vitupère. J’admire ceux qui ont écrit ces choses. Les personnes du monde lorsqu’elles veulent louer quelqu’un qu’elles aiment, racontent toujours ses vertus, perfections et excellences, tous les titres et qualités qui le rendent honorable, et cachent, couvrent et ensevelissent ses péchés et imperfections, mettant en oubli ce qui le peut rendre abject et vil. Mais notre Mère l’Eglise, Epouse de Jésus-Christ, fait tout au contraire ; car bien qu’elle aime uniquement ses enfants, néanmoins lorsqu’elle les veut louer et exalter, elle raconte exactement les péchés qu’ils ont commis avant leur conversion, afin de magnifier la majesté de Celui qui les a sanctifiés pour sa plus grande gloire et honneur, faisant reluire sa miséricorde infinie avec laquelle il les a relevés de leurs misères et péchés, les comblant de tant de grâces et de son saint amour.

Certes, cette bonne Mère ne veut pas que nous nous étonnions et mettions en peine de ce que nous avons été, des grands péchés que nous avons commis autrefois, ni de nos misères présentes ; oh non, pourvu que nous ayons maintenant une résolution ferme et inviolable d’être tout à Dieu et d’embrasser à bon escient la perfection et tous les moyens qui nous peuvent faire avancer en l’amour sacré, faisant que cette résolution soit efficace et produise des œuvres. Non certes, nos misères et nos faiblesses, pour grandes qu’elles soient et aient été, ne nous doivent pas décourager, mais nous doivent faire abaisser et nous jeter entre les bras de la miséricorde divine, laquelle sera d’autant plus glorifiée en nous que nos misères seront plus grandes, si nous venons à nous en relever ; ce que nous devons espérer de faire moyennant sa sainte grâce.

Le grand saint Chrysostome parlant de saint Paul le loue le plus pertinemment qu’il se peut, et avec tant d’honneur et d’estime que c’est chose admirable de voir comme il raconte ses vertus, perfections, excellences, les prérogatives et grâces desquelles Dieu l’a orné et enrichi. Mais après tout ceci, ce même Saint, pour faire voir que ces dons ne venaient pas de lui, mais de la bonté infinie de la divine Majesté qui l’avait fait ce qu’il était, parle de ses défauts et raconte exactement ses péchés et imperfections, disant : Voyez-vous ce petit bossu et contrefait (car il était petit de stature comme de mauvaise mine), comme Dieu en a fait un vaisseau d’élection (Ac., IX,15) ; ce grand pécheur et grand persécuteur des Chrétiens, comme il l’a rendu de loup agneau ; ce chagrin, cet opiniâtre, cet orgueilleux et ambitieux, comme il l’a comblé et rempli de tant de grâces et bénédictions, le rendant si humble et charitable qu’il dit de soi qu’il est le moindre et le plus petit des Apôtres (I Cor., XV, 9) et le plus grand des pécheurs (I Tim., I,15), et qu’il se fait tout à tous pour les gagner tous (I Cor., IX, 22). Et il dit encore, ce glorieux Saint (II Cor., XI, 29 ; cf. Rm., XII, 15.) : Qui est malade avec lequel je ne sois malade ? qui est triste avec lequel je ne sois triste ? qui est joyeux avec lequel je ne me réjouisse ? qui est scandalisé avec lequel je ne sois brûlé ? Certes, les anciens qui écrivaient les vies des Saints étaient très exacts à rechercher leurs défauts et péchés, les racontant et déclarant afin d’exalter et magnifier Notre-Seigneur qui était glorifié en eux, les ayant relevés de leurs misères, convertis et faits des grands Saints.

Revenons maintenant à notre glorieux et tout aimable saint Jean. Il avait certes fort peu de tares et imperfections, étant si pur et si chaste. Il était encore jeune lorsqu’il fut préoccupé, avec son frère saint Jacques, de cette sotte affection d’ambition de vouloir être l’un à la droite et l’autre à la gauche de Notre Seigneur. Il est à croire qu’ils se concertèrent tous deux pour savoir comment ils feraient pour parvenir en cette dignité ; ils ne voulaient pas la demander, oh non, car les ambitieux, de peur d’être estimés tels, n’ont garde de demander eux même l’honneur. Ils trouvent donc un expédient entre eux, disant : Notre Mère est une bonne femme qui nous affectionne grandement, elle fera bien cela pour nous ; et notre Maître nous aime bien, il nous accordera sans doute cette faveur. Il est vrai qu’il les aimait grandement, spécialement saint Jean, son bien-aimé Disciple, qui était le cœur le plus aimable que l’on peut s’imaginer. Ils vont donc prier leur Mère de faire cette requête ; elle, qui était toute désireuse du bonheur de ses enfants, s’en va trouver Notre-Seigneur pour ce sujet, comme dit un des Evangélistes (Mt., XX, 20-23), et, rusée comme un petit renardeau, elle va autour de ses pieds avec tant de génuflexions et d’humiliations, elle se prosterne devant lui pour gagner ses bonnes grâces afin qu’il lui donnât ce qu’elle souhaitait de lui.

Ce divin Sauveur la voyant lui dit : Que demandez vous ? Et elle répondit : Une petite chose ai-je à vous demander, Seigneur. Voyez-vous cette bonne femme, comme elle fait mille tours et retours, n’allant point simplement. Or, c’est l’amour propre qui faisait cela ; elle n’avait garde de lui dire : je veux une telle chose, octroyez-moi cette grâce ; oh non, car l’amour propre est plus sage et discret que cela, il fait faire des préambules et harangues bien composées, avec une humilité feinte et fausse, afin que l’on pense que nous sommes bien braves et prudents. C’est une mauvaise bête qui nous porte beaucoup de dommage, nous empêchant d’aller simplement et rondement en toutes nos actions, nous faisant chercher notre propre intérêt et satisfaction en toutes choses. Il s’en trouve fort peu, voire même entre les plus spirituels, qui regardent purement Dieu sans rechercher leur propre contentement, ne désirent que le contenter et non se contenter soi même.

Il lui dit donc : Que voulez-vous ? car le Sauveur ne se plaisait point à tant de discours, lui qui aime uniquement la simplicité. Elle répartit : Seigneur, je demande que mes enfants soient assis, l’un à ta droite, l’autre à ta gauche en ton royaume. Et ses enfants qui étaient avec elle ajoutèrent : Nous voulons, Seigneur, que tout ce que nous vous demanderons vous nous le donniez (Mc., X, 35). Voyez-vous que notre misère est grande ! Nous voulons que Dieu fasse notre volonté, et nous ne voulons pas faire la sienne sinon lorsqu’elle se trouve conforme à la nôtre. La plupart de nous autres, si nous nous examinons bien, nous trouverons que nos demandes sont grandement impures et imparfaites : si nous sommes à l’oraison, nous voulons que Dieu nous parle, qu’il nous vienne visiter, consoler et récréer, nous lui disons qu’il fasse ceci, qu’il nous donne cela ; et s’il ne le fait pas, quoique pour notre plus grand bien, nous nous en inquiétons, troublons et affligeons.

Notre âme a deux enfants, l’un est le propre jugement et l’autre la propre volonté, et ils veulent tous deux être assis, le jugement à la droite et la volonté à la gauche. Oui, car notre jugement veut gagner par-dessus tous les autres et ne se veut point soumettre, ni notre propre volonté non plus. Il s’en trouve plusieurs qui obéissent, mais extrêmement peu qui soumettent leur jugement et quittent entièrement leur volonté. Il s’en trouve beaucoup qui s’humilient, qui se mortifient, portent la haire, font des pénitences et austérités, qui prient et font oraison, mais fort rares sont ceux qui soumettent entièrement leur propre jugement et leur propre volonté.

Rien ne nous porte tant de préjudice en la vie spirituelle, et nous empêche autant d’avancer en la voie de Dieu ; car si sa sainte volonté règnait en nous, nous ne commettrions jamais aucun péché, nous n’aurions garde de vivre selon nos inclinations et humeurs ; non certes, car elle est la règle de toute bonté. Enfin, cette propre volonté est celle, comme dit saint Bernard, qui brûlera en enfer. Si elle est au Ciel on l’en met dehors, car les Anges en furent chassés parce qu’ils avaient une propre volonté et voulaient être semblables à Dieu ; pour cela ils trébuchèrent aux enfers. Si elle est au monde, elle ruine et gâte tout. Lorsque nous trouvons quelque chose en nous qui n’est pas conforme à la volonté de notre cher Sauveur, nous nous devons prosterner devant lui, et lui dire que nous détestons et désavouons cela et tout ce qui est en nous qui lui peut déplaire et qui est contraire à son amour, lui promettant de ne vouloir rien que ce qui sera conforme à son bon plaisir et vouloir divin.

Notre-Seigneur répondit donc à cette femme et à ses enfants : « Vous ne savez ce que vous demandez. » Ils ne savaient ce qu’ils demandaient, de vrai, puisque au Ciel il n’y a point de gauche, car c’est là où sont les damnés qui sont privés de la présence de Dieu ; il n’y a que la droite où sont les Bienheureux qui jouissent et jouiront éternellement de l’Essence divine qui les comblera de toute sorte de contentement et félicité. Nous ne-savons ce que nous demandons lorsque nous disons à Notre-Seigneur qu’il fasse notre volonté et qu’il nous donne ce que nous désirons. Oh non certes, car ne savez-vous pas, mes chères âmes, que tout notre bien et bonheur dépend d’être entièrement abandonné à la Providence divine, ne cherchant que son bon plaisir, étant parfaitement soumis à sa très sainte volonté, nous réjouissant de la voir accomplir en nous et en toutes créatures, quoique ce soit avec des afflictions et des souffrances ? Nous avons quelquefois affection et inclination à pratiquer les vertus qui sont selon notre volonté. Par exemple, une personne qui sera malade, si nous lui disons : Mon enfant, ne savez-vous pas bien que les peines et souffrances prises avec patience et soumission au vouloir divin sont uniquement agréables à sa Majesté ? Oui, vous répondra-t-elle, mais je voudrais être au chœur pour prier Dieu comme les autres, je voudrais faire des pénitences et mortifications et les actions de vertu comme eux, avec ferveur et sentiment. Voyez-vous, elle voudrait servir Dieu en l’action, et Dieu veut qu’elle le serve en pâtissant et souffrant pour son amour.

Le divin Sauveur dit à ses Apôtres sur ce sujet de l’ambition de ces deux Saints : Ne pensez pas que pour avoir des prééminences et dignités en mon Royaume vous ayez pour cela plus de gloire et d’amour (Mt., XX., 25, 26). Vous autres que j’ai choisis (Jn. XV, 16) et élus pour être assis sur des trônes pour juger avec moi au jour du jugement (Mt., XIX., 28), vous n’en serez pas plus haut et n’aurez pas plus de gloire pour cela. Oh non, car ma Mère qui n’a pas été élue à telle dignité, ne laissera pourtant d’avoir infiniment plus de gloire et d’amour au Ciel que vous et d’autres aussi.

Il y a un amour affectif et l’autre effectif, comme il y a deux manières de souffrir le martyre : l’un est affectif et l’autre effectif. Saint Jean fût martyr de la première manière, Dieu ne permettant pas qu’il fût martyr effectif, mais seulement de volonté et affection ; car l’huile bouillante qu’on avait préparée pour la mettre, et dedans lequel on le mit, ne lui fit aucun mal, mais lui fut aussi doux et suave que si c’eût été un bain des plus agréables. Saint Jacques fut martyr effectif, car Dieu lui fit la grâce de mourir pour son amour, quoique saint Jean ne laissa pas d’avoir la récompense et couronne du martyre.

Notre divin Maître dit donc à ces deux Saints : Pouvez-vous boire avec moi le calice qui m’est préparé ? (Mt. XX., 22) Car je suis descendu du Ciel pour faire la volonté de mon Père qui m’a envoyé et pour parachever son ouvrage (Jn., VI, 38, IV, 34) Ils répondirent : « Nous le pouvons ». Et il ajouta : Savez-vous ce que c’est que boire mon calice ? Ne pensez pas que ce soit avoir des dignités, des faveurs et consolations, oh non certes ; mais boire mon calice c’est participer à ma Passion, endurer des peines et souffrances, des clous, des épines, boire le fiel et le vinaigre.

Oh que ces faveurs sont grandes ! Que nous devons estimer à grand bonheur de porter la croix et être crucifiés avec notre doux Sauveur ! Les Martyrs buvaient tout d’un coup ce calice, les uns en une heure, les autres en deux et trois jours, d’autres en un mois. Nous pouvons être martyrs et le boire, non en deux et trois jours mais toute notre vie, nous mortifiant continuellement, comme font et doivent faire les Religieux et Religieuses que Dieu a appelés en la Religion pour porter sa croix et être crucifiés avec lui. N’est-ce pas un grand martyre de ne faire jamais sa propre volonté, soumettre son jugement, écorcher son cœur, le vider de toutes ses affections impures et de tout ce qui n’est point Dieu, ne point vivre selon ses inclinations et humeurs, mais selon la volonté divine et la raison ? C’est un martyre qui est fort long et ennuyeux et qui doit durer toute notre vie, mais nous obtiendrons à la fin de celle-ci une grande couronne pour notre récompense si nous sommes fidèles à cela.

Lorsque quelque grande princesse ou seigneur meurt d’une mort inopinée, on ouvre son corps pour voir de quelle maladie il est mort, et quand on a trouvé la cause de son trépas l’on est content et ne passe-t-on pas plus outre. Notre-Seigneur étant sur l’arbre de la croix, dit avant que de rendre l’esprit ces paroles, mais d’une voix haute, éclatante et ferme : « Mon Père, je recommande mon esprit entre vos mains » (Lc., XXIII, 46), et rendit son esprit (Mt., XXVII, 50 ; Jn., XIX, 30) tout aussitôt en les prononçant ; l’on ne pouvait croire qu’il fût mort, l’ayant ouï parler tout à l’heure d’une voix si forte qu’il ne semblait pas qu’il dût si tôt mourir ; de sorte que le capitaine des soldats vint pour savoir s’il était vraiment trépassé, et voyant qu’il l’était, il commanda qu’on lui donnât un coup de lance au côté ; ce que l’on fit, et on donna droit contre son cœur (Jn., XIX, 33, 34). Son côté étant ouvert, l’on vit qu’il était vraiment mort, et de la maladie de son cœur, cela veut dire de l’amour de son cœur.

Notre-Seigneur voulut que son côté fût ouvert pour plusieurs raisons. La première est afin qu’on vît les pensées de son cœur, qui étaient des pensées d’amour et de dilection (cf. Jer., XXIX, 11) pour nous, ses bien aimés enfants et chères créatures, qu’il a créées à son image et ressemblance (Gn., I, 26, V, 1), afin que nous vissions combien il désire nous donner de grâces et bénédictions, et son cœur même, comme il fit à sainte Catherine de Sienne. J’admire cette grâce incomparable avec laquelle il changea de cœur avec elle ; car auparavant elle priait ainsi : « Seigneur, je vous recommande mon cœur », mais depuis elle disait : « Seigneur, je vous recommande votre cœur », de sorte que le cœur de Dieu était son Cœur. Certes, les âmes dévotes ne doivent point avoir d’autre cœur que celui de Dieu, point d’autre esprit que le sien, point d’autre volonté que la sienne, point d’autres affections que les siennes ni d’autres désirs que les siens, en somme elles doivent être toutes à lui.

La seconde raison est afin que nous allions à lui avec toute confiance, pour nous retirer et cacher dedans son côté, pour nous reposer en lui, voyant qu’il l’a ouvert pour nous y recevoir avec une bénignité et amour non pareil, si nous nous donnons à lui et que nous nous abandonnions entièrement et sans réserve à sa bonté et providence.

Vous me demanderez peut être les raisons pour lesquelles nos cœurs à nous autres sont si cachés qu’on ne les voit point. Pour deux raisons il est expédiant qu’il soit ainsi. La première, parce que l’on aurait horreur de découvrir dans les cœurs des méchants et grands pécheurs des choses si sales, horribles et tant de misères ; car sainte Catherine, qui avait reçu ce don de Dieu de pénétrer les consciences et de connaître les péchés les plus secrets, en avait une si grande horreur, qu’il fallait qu’elle se détournât pour s’empêcher de les voir. Et de notre temps, le bienheureux Philippe de Néri avait reçu cette même grâce de la divine Bonté ; souvent il se bouchait le nez pour ne pas sentir une si grande puanteur qui sortait des pécheurs. L’autre raison est parce qu’il n’est pas expédient que l’on voit le cœur des bons, de peur qu’ils ne tombent en vanité ou que cela ne donne de la jalousie aux autres. Or, en Notre-Seigneur il n’y avait rien à craindre que l’on vît son cœur, parce qu’il n’y avait rien en lui qui pût donner de l’horreur, puisqu’il était si pur, si saint et la pureté même ; il ne pouvait point aussi tomber en vanité, lui qui était l’Auteur de la gloire.

Je considère la ferveur avec laquelle ces deux Saints répondirent à Notre-Seigneur lorsqu’il leur parla de boire son calice : « Nous le pouvons », dirent-ils. Voyez vous, lorsque nous avons des chaleurs, des bons sentiments et consolations, il nous semble que nous ferons des merveilles ; mais aux moindres petites occasions, nous choppons et donnons du nez en terre. Si l’on nous touche le bout du doigt ou le bout du pied, nous nous retirons aussitôt ; si on nous dit une petite parole qui ne soit pas selon notre gré, nous nous offensons. Nous faisons comme ces soldats d’Ephraïm, lesquels avaient fait des grands exploits de guerre et avaient tant de vaillance en imagination qu’ils pensaient massacrer tous leurs ennemis ; mais quand ce vint au fait et au prendre, ils devinrent pâles et sans courage, tournant le dos (Ps. LXXVII, 9). Nous en sommes de même, car nous faisons en esprit de beaux exploits et de belles résolutions, nous imaginant que nous faisons choses et autres pour Dieu ; mais quand ce vient aux occasions, nous tournons le dos et manquons de courage et de fidélité.

Saint Pierre dit à Notre-Seigneur avec une grande ferveur : je ne vous quitterai point, mais je mourrai avec vous (Lc., XXII, 33 ; Jn., XIII, 37) ; et à la seule voix d’une chambrière, il le renia trois fois (Mt., XXVI, 69-75). Certes, lorsqu’il nous vient de ces ardents désirs de faire de grandes choses pour Dieu, nous devons alors plus que jamais nous approfondir en l’humilité et défiance de nous-mêmes et en la confiance en Dieu, nous jetant entre ses bras, reconnaissant que nous n’avons nul pouvoir pour effectuer nos résolutions et bons désirs, ni faire chose quelconque qui lui soit agréable ; mais en Lui et avec sa grâce toutes choses nous seront possibles (Philip., IV, 13). Celui-là serait bien fou qui voudrait faire quelque grand bâtiment et édifice et ne considérerait pas auparavant s’il a de quoi payer et satisfaire pour cela (Cf. Lc., XIV, 28-30). Nous autres qui voulons acheter le Ciel, et faire ce grand bâtiment et édifice de la perfection, nous sommes des fous lorsque nous ne considérons pas si nous avons de quoi payer et ce qu’il faut donner pour l’avoir ; faute de cette considération, nous demeurons court en chemin.

La monnaie avec laquelle il nous faut acheter cette perfection, c’est notre propre volonté, laquelle il nous faut vendre et nous en défaire, la quittant entièrement. Il faut renoncer à nous même et prendre la croix (Mt., XVI, 24 ; Lc., IX, 23), il faut soumettre notre propre jugement, il nous faut défaire de nos mauvaises inclinations et humeurs. Enfin nous ne l’acquerrons jamais par une autre voie ; il nous faut vendre tout pour avoir cette précieuse perle (Mt., XIII, 46) de l’amour sacré que Dieu se prépare à nous donner, si nous sommes fidèles à travailler pour l’acquérir. Bienheureuses sont donc les âmes qui boivent le calice avec Notre-Seigneur, qui se mortifient, portent la croix et souffrent amoureusement pour son amour, et qui reçoivent également de sa main toutes sortes d’événements. Mais, mon Dieu, qu’il s’en trouve peu ! Toutefois, je ne dis pas cela sans faire quelques exceptions.

Vous me direz néanmoins qu’il y en a tant qui désirent de souffrir et porter la croix ; et c’est la vérité. Je le sais qu’il y en a plusieurs qui le désirent, et demandent à Dieu les peines et afflictions, le priant qu’il les fasse souffrir ; mais c’est avec cette condition qu’il les visite et console souvent en leur souffrance, qu’il leur témoigne qu’il l’a agréable, qu’il se plait de les voir souffrir qu’il les en récompensera bien d’une gloire immortelle. Il y en a plusieurs qui désirent et veulent savoir le degré de gloire qu’ils auront au Ciel. Certes, c’est une très grande impertinence, car nous ne devons en façon quelconque nous enquérir de cela. Nous devons servir la divine Majesté le mieux et le plus fidèlement que nous pourrons, observant exactement ses commandements, ses conseils et ses volontés, et avec le plus de perfection, de pureté et d’amour qu’il nous sera possible, et ne nous point enquérir de la récompense qu’il nous donnera, laissant cela à sa Bonté qui ne manquera pas de nous récompenser d’une gloire infinie et incompréhensible, se donnant soi-même à nous pour récompense (Gn., XV, 1), tant il fait d’état et a agréable ce que nous faisons pour lui. En somme c’est un bon Maître, il nous faut seulement être serviteurs et servantes bien fidèles, et assurément il nous sera fidèle Rémunérateur (Mt., XXV, 21, 23).

C’est un bonheur incomparable de servir ce divin Sauveur de nos âmes et boire avec lui son calice. Voyez-vous cette grande sainte Catherine de Sienne, laquelle préféra la couronne d’épines à celle d’or. Nous en devons faire le même, car enfin, le chemin de la croix, des souffrances et afflictions est un chemin assuré qui nous conduit à Dieu et à la perfection de son amour, si nous sommes fidèles. Pour conclusion, il nous faut courageusement boire le calice de Notre-Seigneur et être crucifiés avec lui en cette vie, et si nous suivons ses exemples et vestiges, sa Bonté nous fera la grâce d’être avec lui glorifiés en l’autre (Rm., VIII, 17.), où nous conduisent le Père, le Fils et le Saint Esprit.

Amen.